Le Salon de lecture

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AGNES SCHNELL


Piazza


On s'étonnait du bleu de la lumière.
Touché par l'accent sauvage
d'une langue inconnue
on avait le regard trop clair.

Manquaient pourtant
les mots lianes
plus que mains et bras
infatigables
qui vrillaient dans le vif
.

On était sur une agora
large plage pavée
où l'eau courait en chantant.
On était
assis à même la pierre
dans le blanc du silence intime
.

Manquaient les mots orages
ou naufrages
mots délavés        démaillés
pour emporter        dévaster
la transparence.


On n'entendait que ces voix étrangères
dégringolades de sons
jeux de billes choquées
musique des êtres
un chant profond
comme la vie qui se replie
.

On n'entendait que les ombres
leur hâte    leurs courbes
plus surprenantes que le livre abandonné.


Le vent se pressait éperdu
le vent s'égarait
en carrefours inattendus
et nous revenait
tyrannique.


Frissons…
L'accent sauvage d'une langue inconnue
nous habitait par effraction.
Vivre nous enivrait.




Rêves chagrinés


On pensait jouir de l’infime
ombre d’un oiseau
chaîne rongée des barques
chuchotis des herbes
sous la caresse du fleuve…


En nos ravins et gravats
en nos lisières floues
la voix jaillissait
et berçante   nous dominait.


Il y a de toi à moi
des pierres que l’on traîne
et le sable toujours irritant.
Il y a la lumière
le tumulte de l’ignition
et la faim houleuse.


Nous sommes soudain

déplacés       destitués
tels des insectes évidés
un jour de pierre humide
et d’enfance éteinte.



Sans titre


Etre juste ce piéton fabuleux *
retenu par les sortilèges

un être marchant affairé
dans la lenteur
qui s’offre terre fauve
et ciel mouillé.

Rencontre,
un oiseau mort     au cou rompu
chant d’amour     par un lacet de crin
arrêté dans la frêle gorge

Combien de naufrages
d’arbres effondrés     de fruits délaissés
dans l’éloignement ?

Plus qu’un chemin, l’eau cherche l’eau.

Chocs de roches creusées
par ruisseaux détournés,
il flotte un parfum de chaos
de finitude
de trop plein peut-être...

Chant sourd qui afflue
chant de désespérance
que l’on cultive en vain…

On est seuls

ni chantres     ni messagers
à peine témoins
seuls à maudire le chant qui
dans l’invisible
nous tenait et nous a lâchés.


*piéton fabuleux*
expression de Julien Gracq qui aimait ma région adoptive





Chant sorcier


Miroir noyé…

Un jour de pluie
aux mille arpèges contrariés.

Buissonnements des pensées
appels sourds.
Des voix nous traversent
et nous plombent.

Le chant porte
puis se dérobe
il heurte et fouette.

Bercés,
des chants sorciers
en fragments encore illisibles
naissent en notre intime.

On se réveille parfois
dans le rêve d’un autre…



Eden


C’est d’un autre temps
que j’écris
d’un jardin de mots qui n’existe plus.

J’écris le bleu multiple de l’orage
le désordre où se fourvoient
les insectes
que nous sommes.

Chaos des images soudaines
j’écris un ailleurs distrait
eau azurée des lessives anciennes
odeur du savon mou
trottoirs gras briqués à la semaine
raclement des balais en coco
 
promenades obligées du dimanche
et joies imposées.
Il est loin ce passé
pas si simple
tel un théâtre démodé.

La nuit de bitume farde les murs
de graffitis    de givre.

Il me revient en mémoire

le chant rauque des vieilles bouches
où le souffle manquait
 
ces vies aux mille crevasses
aux oripeaux de rêves
quand on avait peur
des larges ombres
peur du terne         de la nudité
de l’usure.

Toutes les enfances sont fanées
toutes les marelles effacées
où il manquait le ciel.




Échos



Il ne suffit pas de dire
mais de marteler
de creuser de fixer
les mots pour qu’ils
prennent racine
pour qu’ils dérangent
et provoquent.

Il ne suffit pas de voir
ni de sentir ou de croire
ou d’imaginer
il faut se dresser dans l’énigme
dans la patience
la lenteur et le temps
et oser crier contre
tout ce qui fait obstacle.


Il ne suffit pas de commencer
mais de rejoindre
d’atteindre enfin.

Il ne suffit pas de seulement vivre
mais d’être tantôt source
tantôt braises
fraction d’espace et d’oubli.




Réminiscences

Du marine des ombres
à la couleur du vin coupé
il y a toujours en nous
un éclat d’enfance.

Il y a le froid des murs de pénitence
le brouillard dont on émergeait
si lentement
les voix trop assurées
dont la distance nous étourdissait.

On allait en aveugle
bousculés par les jours.
On résistait peu
tout attentifs aux brasiers de nos âmes
à l’impatience de nos mains.


Maintenant
on écrit comme on ravaude
pour combler à points serrés
pour garder fixés les mots nomades.

Il y a toujours quelque chose
d’étonné en nous
l’accent de la terre natale
nos pensées de l’un à l’autre hésitant
tantôt voiles
tantôt ancres…



Et enfin, deux extraits de la dernière nouvelle d’un de ses recueils

En sépia majeur

"La vie est simple pour ceux qui ne cherchent pas à comprendre,
soit parce qu'ils sont très naïfs, soit parce qu'ils sont très intelligents.
Mais ceux qui ne sont ni assez naïfs, ni assez intelligents,
ne trouvent aucune réponse à leurs questions" (Agnon)


La Haine charriait son habituelle moisson. Elle traversait le village, récoltait les potins, essaimait les ragots et les effluves.

    Etait-ce un village triste ? Les maisons étaient usées d’être récurées et les femmes d’être asservies. Les enfants, vieux avant de naître, cherchaient leur chemin en solitaire. Mal attendus, mal acceptés, mal venus, ils n’étaient que des bouches à nourrir avant qu’on puisse les mettre au travail. Plus tard, ils étaient des hôtes qu’on n’avait pas invités.

    La Haine charriait des flots de mémoire. On échangeait ses souvenirs. Les familles des uns et des autres se mélangeaient par mariage, par indiscrétion surtout. On vivait en transparence, croyait-on. On vivait surtout en apparence, en surface.
On parlait beaucoup pour taire l’essentiel. On parlait pour resserrer les baillons, pour aveugler l’autre. On brassait l’air et les mots pour ne pas toucher à la lie, à la boue du passé. Chaque famille dissimulait  un secret. Plusieurs pour certaines, plus canailles.

    Le vent balayait la longue plaine, soulevant poussières et mélancolie. Il s’infiltrait sous les portes de vieux bois, passait et repassait dans les cours étriquées, s’attardait, dérangeait les tuiles, agitait les branches. On avait souvent froid. On était accoutumés au ciel chiffonné, aux maisons sévères de briques rouges, aux jardins étroits, au mauvais goût, aux manières faussées…

    … Il arrivait qu’un proche passe dans l’autre monde. Son absence soudaine réveillait les consciences, remuait les questions. Alors, on s’échappait. On recherchait la complicité du végétal, du minéral. On voulait ignorer la précarité humaine. On gravait dans l’écorce ou dans la pierre des cris que nul ne lirait. On se sentait proche de l’infime. On portait haut l’espérance d’un envol, la foi en des étoiles vestiges sans doute.
On écoutait les rumeurs et les gestes de la nature. On écoutait la douceur des nuits, la morsure du froid, les eaux sous terre retenues, la patience de la rivière et son appel toujours pressant.

    La Haine charriait sa moisson… L’eau reflétait le bleu sous les nuages. Elle s’irisait sous de faibles rayons, elle rosissait à l’aurore, se dorait au crépuscule. Elle gardait le souffle de ceux qui l’avaient épousée par désespoir. Elle gardait leurs regards fanés, leurs corps tordus.
La Haine muait lors de ses crues. Elle rejetait alors détritus, herbes et os blanchis en un magma sauvage où certains craignaient de reconnaître un des siens.

    Les nuits alors étaient sans rives. Les réveils, un lent accostage qui arrachait un peu d’âme aux survivants que nous étions.

    La Haine, indifférente, décantait sa lie et coulait limpide vers la mer…

in L’enfance aux brumes, recueil paru aux Éditions Ex-Aequo en novembre 2010


Agnès Schnell,
Belge, Française d'adoption,elle vit dans un pays de forêts, de collines et de fleuve et rivières.
Conteuse pour les petits, alphabétisatrice pour les grands, membre de la société des écrivains ardennais.


Publications:
- Poème à crier, Editions Poiêtês
- De terre et de bleu, Editions Poiêtês
- Jour de liesse, jour de colère, Editions Poiêtês
- Mosane ou presque - 42 chants pour l'Ardenne, aux éditions du Serpolet
- Autres nocturnes, chez Édilivre
- L'a-mère ou plus loin que la mémoire, chez Edilivre
- L'enfance aux brumes, Editions Ex Aequao et chez Amazon.fr
- Écorce sur eau vive, Éditions Le Serpolet
- Murmure dans l'absence, Éditions Le Serpolet
- A mezza voce, Éditions Le Serpolet
ainsi que plusieurs participations à des revues papier telles que Inédit Nouveau et Comme en poésie ou Jalons...

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publiée dans la Librairire Francopolis

Agnès Schnell vient de rejoindre l'équipe Francopolis - Bienvenue Agnès !



POÈMES : AGNÈS SCHNELL


Salon de lecture
Francopolis mars 2013




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Créé le 1 mars 2002