FRANCESCA Y.
CAROUTCH
L'OR DES ÉTOILES ET AUTRES
POÈMES
Toute nuit est
lumière (Héraclite)
François Augiéras, Jeune femme à la barque. Vers
1961 (Collection Miquel Barcelo)
L’or des
étoiles
Les pires abîmes avaient enfanté
l’entrelacs de nos chemins.
Nous célébrions la transhumance des esprits
à travers les mille scintillements de la matière,
les métamorphoses du cosmos vers la lumière.
Nous célébrions l’ascension de l’âme vers le
soleil,
la contraction de l’univers avec ses graines et ses pierres,
ses racines et ses tombeaux.
Les énergies célestes se cristallisaient, à nos
pieds.
Un grand oiseau blanc prenait son envol
au-dessus des collines constellées de fleurs.
Puis il traversait au ralenti le ciel du crépuscule.
Un soir nous vîmes
dans l’embrasement d’une éternité provisoire,
la chevelure et la queue d’une comète en flammes,
trop près du soleil.
Nous nous épuisions à inventer des
paysages,
théâtres de rêve pour insectes
hurleurs.
Nous nous gavions de fruits
et de sagesse végétale.
Puis nous reposions
enlacés sous nos huttes de mots.
Parfois, un grand aîné nous quittait
pour qu’émergent de nouvelles générations.
Lorsque la tenture des cieux criblés d’astres
commençait à frémir,
nous fermions les yeux
pour mieux la voir.
Le petit homme ne pouvait supporter
la suffocante beauté des moissons
Il buvait et nous haïssait.
Dans l’ombre, au tranchant de la lune,
une flèche inconnue
nous perça le dos
Cela advint comme un viol
avec la confondante simplicité
des choses inévitables.
Le papier d’argent de la Croix du Sud
se froissa un instant
Puis le chant de la part d’ombre
redevint lumière.
Ayant retrouvé nos esprits
nous nous fondîmes
dans l’harmonie universelle.
Puis nous appelâmes avec ferveur
le nouvel Homme, l’Homme des Astres, géant
non par le corps
mais par l’âme
à la mémoire de constellation.
Tout était parfait,
depuis des temps sans commencements.
©Francesca
Y. Caroutch, décembre 2014
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[Le scribe de l’aurore]
À
René Rougerie
In
memoriam
Lumière filtrée par les frondaisons
Un orage lointain ...
On entend la vieille terre
lourde de fruits trop mûrs
éclater de rire
Inépuisable corne d’abondance du vide
d’où tout émane et où tout se résorbe
Au fond du jardin secret
on devine les vibrations des nombres
Subjugué par la sagesse végétale
le scribe de l’aurore
perçoit que l’écriture est un corps lumineux
et le chemin calligraphie de l’éveil
Pendant ce temps, saint René Rougerie
continue à imprimer pour nous
les étoiles de la Voie lactée
Tristan et Yseut – manuscrit enluminé, 1480, bibliothèque
du musée Condé à Chantilly
[Nos mains jamais désunies]
1
Je suis un campement abandonné
Y serpentent l’angoisse et la joie
Sous l’assourdissant silence des galaxies
Ferveur de la basse continue
Magie blanche des nuits d’antan
Tu n’as plus besoin d’espace
tu es l’espace
Je reconstruis avec une plume de paon
les immenses fresques du vide
la douce odeur des prés sous la lune
2
Depuis l’exil tu clignotes davantage
Tu es le loup bleu des steppes
entre l’Ourse et le Grand Chien
Je te cherche de mois en mois
de chambre en chambre
partout où tu n’es pas
au fil perdu des ports et des collines
semant la perfection
à la recherche de la canicule et de la pluie
3
Que de cantilènes sans fin tracées
sous forme de caresses sur ton corps
runes gravées avec la langue
poèmes inscrits dans ta chair et ton âme
avec une intensité à tuer
Dans la nuit sous mes doigts
De minuscules étincelles fusent de ta chair
Salve d’étoiles et de graines enceintes
En toi mon nom incrusté
comme dans la mémoire des chênes
4
Veine secrète lâchant des salves d’étoiles
Éclair violent qui transperce
Ou sceau magique de l’ortie
L’air s’enflamme
Autour des châteaux de l’esprit
Épée qui transperce et guérit
Suavité du titan subjugué
5
Désir aveugle cognant dans les ténèbres
Soutes du destin obscur
voguant vers les espaces toujours vierges des cieux
Les fleurs chantent
malgré le scorpion dans le cœur
Tous les hommes aimés ne font qu’un
dans l’éther brûlant
Ne reste qu’une bouche
qui communie avec les fruits sacrés de la terre
qui hurle qui se tait
qui baise l’empreinte de tes pas sur le sable
6
Toi mon sosie dans l’art d’aimer
Indécence de contempler ton sommeil
sous les arbres hébétés de bonheur
Tu m’enveloppes comme une brume de chaleur
Volupté de l’absence poignante
fièvre des rencontres
dans les aromates de la passion
Nous nous dévorons l’un l’autre
comme quartiers de lune
7
Dernière veillée d’armes
avant le don de la sainte folie
L’Éros de l’esprit s’éveille
Ton sommeil est un sanctuaire
un mystère sacré avant le grand voyage
Les pavots sourient aux anges
qui jouent aux dés le sort des hommes
dans la brume tiède
Ultime descente dans les sources de cristal
8
Au delà du temps
Nos mains jamais désunies
État de grâce
Tambours dans le sang
et pollen attirant toujours plus loin
Danse avec les phénomènes
Merveilleuses vicissitudes
Bien mal mort vie haine amour
ont la même saveur
douce amère
9
Presque féminine à force de douceur
ta voix tétanise
au bout du fil
Petits éclairs d’énergie jugulée
Puis c’est la pluie d’or
l’oratorio des draps de lin
tressés avec de l’amour
jusqu’au lâcher de la parole
mouches de braise ou ineffable jasmin
10
Écarlates pèches des vignes
vergers dévastés de joie
où nous attend notre double,
- métaphore à multiples sens
Au loin les arcades béantes
rient aux éclats
11
Un matin te croyant seul
je t’ai vu te prosterner sur la terre mère
et lui faire une offrande
Des langues de feu ceignaient ton front
Puis la vie reprit son cours
pas ordinaire
A présent c’est moi qui suis seule au monde
Seule la lune qui me regarde fixement
sait où je gîte
sur l’échine de la Terre-mère
©Francesca
Y. Caroutch
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Francesca Y. Caroutch est née le 3
février 1937 à Paris.
Poète, traductrice, romancière, essayiste,
spécialiste du bouddhisme tibétain, membre de
l’Académie européenne des Sciences, des Arts et des
Lettres, également peintre, elle a publié de nombreux
recueils de poèmes, des récits, des études sur le
symbolisme de la Licorne.
À l’époque de ses débuts en poésie –
son premier recueil, Soifs, fut salué entre autres
par Pierre Reverdy, Gaston Bachelard, Jean Paulhan, André Pieyre
de Mandiargues, et Jean Grosjean, dans La Nouvelle Revue
française – elle a connu François
Augiéras1 qui fut lié avec elle par
une longue et
profonde
amitié ; elle écrivit à ses côtés
dans la revue Structure de son père, Pierre Renaud
(1957-1958),
et publia sur cet auteur et peintre dans des revues, des catalogues et
des ouvrages collectifs (comme Europe, fin 2006).
1. François
Augiéras
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Bibliographie
sélective
Poésie
• Soifs, Ned, 1954 (traduit en japonais, à
Kyoto)
• Les veilleurs endormis, Ned, 1955
• L'oiseleur du vide, Empreintes, 1957
• Paysages provisoires, Mica, Venise-New York, 1965
(traduction en anglais de Raymond Federman)
• LA SUITE sur son
site-section poèmes
Romans et récits
• Le gouvernement des eaux, Christian Bourgois, 1971
; Arbre d’or, 2006
• Le grand transparent et le grand
écorché, Lettera amorosa, 1974
• Le volcan de Venise, Giordano Bruno, Retz, 1975 ;
Arista, 1988 (traduit en italien)
• Anamorphose de la bête, in Ljuba, Belfond,
1978
• Chromatismes, In Wagner, Obliques, 1979
• L'homme de feu, Giordano Bruno, Nouvelle version.
Pygmalion. 2003 (traduit en portugais)
Essais & Liens
VOIR sur son SITE
Références indispensables :
• Autour de Francesca Y.
Caroutch, éditions
Encres Vives, 2010
- Cahiers
étoilés d’une légende de Francesca Y. Caroutch,
par Jean Dif, dans Recours au poème :
- Hommage à Lydia
Claude Hartman, poète de la ferveur, par Francesca Y. Caroutch,
dans Recours au poème :
Présence à Francopolis :
- Rubriques Francosemailles
- avril 2014 :
Chronique au recueil Cahiers étoilés d’une
légende (Éditions du Cygne, 2013) par Pascale
Moré, et extraits
- Rubriques Pieds des mots
- juin 2014
Entretien avec Igor Smetanoff Dans le jardin de la Connaissance, la
licorne garde la porte d’Orient
- Rubrique Coup de coeur -
juin 2014
Extraits du recueil Les enfants de la foudre (éd. Rougerie,
2011) dans la rubrique Coup de cœur
Salon
de lecture : Francesca Y.Caroutch
présenté par Dana
Shishmanian
février 2015
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