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Une flaque d’eau
pour se noyer
C’est un lundi inutile, une flaque
d’eau pour se noyer.
La verveine sur le
balcon ne poussera pas moins bien que la veille.
Les moteurs
viennent salir
l’aube, souiller nos rêves encore moites qui ont pris corps au
cœur
humide d’une nuit d’été.
L’homme n’a que du
bruit à offrir, du bruit et de la sueur.
Il voudrait
pleurer d’avoir quitté ses rêves, il voudrait crier
d’être un compte à rebours.
Il n’ose
espérer
une vie sans réveil, sans radio, sans voiture, sans travail, il
n’ose
espérer une raison valable de se lever.
C’est un lundi
inutile, une flaque d’eau pour se noyer.
Il y a ce vent qui
effraie les mouches, cette vieille dame qui joue déjà aux
mots croisés en
attendant le jour,
il y a cette machine qui siffle et gémit en mâchant nos
ordures.
Il y a
déjà ceux qui s’agitent pour que le monde ait l’air en
marche à notre arrivée.
Les heures
commencent
déjà à défiler, le temps se dévore
lui-même
et bientôt le soir tombera pour nous donner des raisons d’oublier
à
quel point nous avons perdu notre temps.
Dans la douceur de
nos fatigues, nous retrouverons enfin ceux que l’on aime, ou nous ne
retrouverons
personne et ça n’aura plus d’importance parce que la nuit nous
offrira ses
bras tendres et
paisibles comme un piège.
Elle nous
délivrera d’aujourd’hui pour nous faire prisonniers de demain.
Dans
l’obscurité
tiède, nous essaierons de résister au sommeil. Quelques
minutes
sereines de divagations ou de tendresse avant de disparaître.
Et demain sera
déjà derrière la porte à se gratter le
ventre.
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Rentabilité
Je
vous donne mes bras, faites en ce que vous voulez
Faites en des piliers, des
poteaux ou des planches
Faites en du bois mort, un
support pour les ronces
Faites en des bougies ou des
pelles à creuser
Car ce n’est pas moi qui les
rentabiliserai
Je vous offre mes jambes
pour cultiver les poils ou
nourrir les fourmis
pour arpenter
sévère,
pour marquer territoire
pour jalonner le temps
Car ce n’est pas moi qui les
rentabiliserai
Je vous offre carcasse
pour boucher l’horizon
monticule de viande
pour vous baigner dedans
pour élever des
mouches
pour être
apéricube
car ce n’est pas moi qui la
rentabiliserai
Je vous offre ma tête,
mes rêves, mes cheveux
je vous offre mes yeux, ma
tendresse et ma curiosité
Je vous offre mon temps,
patience illimitée
Car ce n’est pas moi qui les
rentabiliserai.
Le
jour où l’automne est arrivé...
Le ciel a attendu.
Le jour a hésité à tourner le dos à
l’été.
Un peu plus que la veille, la terre s’est nappée de son sucre
glacé.
Le vent à recouvert chaque arbre d’un nouveau vêtement de
lumière.
Un nuage a traversé l’horizon le temps que je retrouve mes mots.
Les mouches se sont affolées devant les premiers
crépitements froids de l’aube.
Les reflets diaphanes du ciel se sont étalés dans une
flaque d’eau.
Chaque têtard a abordé la surface, chaque oiseau s’est
méticuleusement
nettoyé les ailes, chaque humain a arraché les restes de
rêves
dans ses yeux.
Le vent a dansé avec la lumière, il a caressé la
silhouette fragile de l’horizon.
Chaque brin d’herbe est devenu un grouillement, chaque poussière
est
devenu un reflet, chaque feuille morte est devenue un miroir.
Les nuages ont brouté l’azur comme des animaux paisibles qui
remontaient le cour du temps.
Les branches se sont affolées.
Le ciel s’est voilé d’une uniformité grise et froide.
Chaque feuille s’est faite giflée parcimonieusement.
Les gouttes ont fait rebondir la poussière.
Elles ont hissé chaque odeur sur le perron du monde.
Elles ont dégouliné comme des mots blancs du ventre
cotonneux d’un mouton aérien.
Les gouttes ont fait crépiter le matin.
Le ciel s’est couvert de hiéroglyphes humides.
Le jour s’est caché sous les jupes du vent.
L’espace d’un instant, tout s’est arrêté dans un silence
serein.
Le monde a attendu avec la clarté de l’évidence.
L’horizon a cessé de fuir.
Le tonnerre a éclaté en déflagrations
sèches.
Le ciel s’est mis à claquer comme une porte dans un courant
d’air.
Abondance de gouttes.
L’eau a fait briller la terre à chaque éclat de boue.
Le jour où l’automne est arrivé, le monde entier s’est
rincé dans sa boue.
Le ciel a copié ses humeurs.
Le ciel a copié ses couleurs.
Pour la première fois de leur vie, les diptères se sont
sentis vieux.
Le jour a retrouvé son rythme dans le battement des gouttes qui
encerclaient les flaques.
Les fruits pourris sont tombés des arbres en voulant imiter la
pluie.
Les feuilles ont commencé leur voyage vers la galaxie des
poussières.
Et l’obscurité m’a souri.
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MÉTHODE
DE SURVIE
technique numéro 1 _DIAPRER
L’OBSCURITÉ:
LA TENDRESSE EST
UNE COULEUR
UNE BRISE CHAUDE
CARESSE LA NUIT
PUR
VÊTEMENT DE SILENCE
technique
numéro 2 _TISSER FILS DE LUMIÈRE:
MANTEAU DE
DISSEMBLANCE
CATHÉDRALES
ÉPHÉMÈRES
POÉSIE DU
LUCIDE
technique
numéro 3 _DE L’AMOUR DES NANOCKS:
L’OMBRE EST
L’ÉCHAFAUDAGE DE LA CLARTÉ
L’AUBE EST
RESPIRATION
SA MAIN DANS LA
MIENNE
technique
numéro 4 _ARCHITECTURE DES VENTS:
LE RIRE FROID DU
MISTRAL
DU MOUVEMENT DES
CONTRAIRES
ÉPARGNER
LES NUANCES
technique
numéro 5 _MÉTAMORPHOSE SENSIBLE:
TERRE, CAILLOUX,
BRINDILLE, NUAGE
CHIEN,
PÉTALE, ARBRE, POUSSIÈRE
FLEUR, PLUME,
PARFUM, ORAGE
technique
numéro 6 _PIERRE PAR PIERRE:
MOT PAR MOT,
SECONDE PAR SECONDE
GRAPPILLER UNE
À UNE CHAQUE MIETTE DE FORCE
DE
L’ÉSTHÉTIQUE DES RUINES
technique
numéro 7 _PROJECTILE
PENSER À
DEVENIR
AUTORISER L’OUBLI
INVESTIR DANS LA
PERTE
technique
numéro 8 _AMASSER CENDRES
COLLECTION DE
DÉTAILS
TOMBER C’EST
VOLER UN PEU
LA FOUDRE DANS
UN VERRE D’EAU
technique
numéro 9_RÉDEMPTION PAR LE VERBE
CACAHOUÉTE
SALMIGONDI CONCOMBRE ANACHORÉTE
CUCURBITACÉ
NYCTALOPE ANDOUILLETTE CALLYPIGE
GALINACÉ
PYTÉCANTHROPE CHAMALO CHARIVARI
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Un
Répit
Sous le ciel bas et lourd
les insectes grouillants
organisent le monde
L’homme est bien moins qu’un
loup pour l’homme
et mes mains creuses sont
pleines de la bave affectueuse
des chiens
L’homme est bien moins qu’un
brin sec de sauge
et dans les reflets vitreux
de sa graisse
il règne sur un tas
de cendre
mouvant comme des sables
mélangés
à la boue
Je m’enfonce tendrement dans
le ventre du monde
je m’enfonce lentement dans
nos propres poussières
je m’enfonce dans mes yeux
N’apercevant rien d’autre
qu’un ballet sirupeux qui s’étale en gluances
sur le crâne rond du
vide
Et mes semblables sont comme
des clous rouillés
figeant le paysage
en démonstrations
froides et utiles telles un enterrement
Je m’enfonce lentement
Une mains me rattrape
Deux ailes translucides qui
poussent dans son dos
Et de mes deux
cavités mornes
elle fertilise le sol
et deux sources jaillissent
deux sources fraîches
et douces comme du pollen glacé
Elle est
la caisse de
résonance du rire fragile de la vie
qui persiste
malgré nous.
Le Dernier Mot
Dans l’aube fumeuse et humide
les cris des
oiseaux
sont des clous
qui tiennent le
jour droit
La nuit
déguise ses courbes
Les chauve-souris
s’endorment
la tête aux
pieds des mots
Germination
feutrée
Une brise mouvante
fait danser la
rosée
sur une tige de
menthe
Au bord d’une
poubelle
les fourmis
s’organisent
pour laver
méticuleusement
nos traces
Tu regardes le
temps qui passe
ses empreintes
dans l’herbe
disparaissent
aussitôt
Bien longtemps
après toi
Il persistera
à renaître
ce palais
provisoire
Ce monde que tu
piétines
aura le dernier mot
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Le pays des hommes sans nom.
La ville est un monstre
tendre et cruel.
C’est le pays des hommes sans nom.
Les gens se croisent sans partager leurs regards, les épaules
s’évitent,
les sens sont aguerris à tout capter sans réagir,
à
percevoir préventivement tous les risques possibles avant de les
évaluer,
puis de les affronter sans ne rien laisser transparaître, chacun
arborant
ce masque de présence froide du pays d’avant les sourires, un
masque
dur d’indifférence afin que chaque homme puisse se confondre
sereinement
avec son ombre.
La peur habille certains, pendant que d’autres éructent, hurlant
au
visage de l’absence, et leurs cris deviennent comme une impression
colorée
d’amertume qui se dilue dans la grisaille, c’est l’haleine aigre de la
ville,
un élevage en batterie de tristesse et de rire, une usine
à
plaisir et à déchirement.
Le pays des hommes sans
nom
est le lieu du possible, il est donc inéluctablement le berceau
des
échecs, des possibles ratés...
Si on sort du microcosme
de
son milieu, si on visite une ville comme un étranger, un anonyme
qui
parcourt le dédale des rues vides sans les repères
affectifs
qui peuvent se tisser parfois à l’intérieur, ce qui saute
aux
yeux, ce sont ces échecs avachis comme des fleurs fanées
sur
le bord d’une route, ces possibles ratés incarnés dans
les
corps cassés qui jonchent le bord de cet étrange chemin.
Lentement, on s’habitue à voir et la ville devient le pays des
hommes sans nom.
C’est un pays fait de vestiges et de décombres, les solitudes en
sont
ses ruines, les corps écorchés ses jalons de tristesse,
la
misère l’odeur de ses saisons...
C’est un pays de luttes et de défaites, d’éclats de nuit
et
de poussières de feu, de rêves avortés et d’espoirs
naissants.
Il réveille les souvenirs, faisant résonner au fond de
nos ventres la petite musique de ce qui n’est plus.
Il nous ramène, comme le guide d’une visite touristique morbide,
à
nos propres vestiges, nos possibles ratés, “à votre
gauche
votre jeunesse perdue, à votre droite vos rêves
bafoués”
et dans le fond de nos bouches, l’amour vient se mélanger
aux
cendres.
C’est le goût du pays des hommes sans nom.
Le temps se mange lui-même la queue. Les jours traversent la
ville
comme un convoi pressé d’atteindre enfin sa fin. Remplissant
chaque
rue, chaque trottoir, chaque flaque, les jours s’accumulent comme la
poussière
compacte de nos pertes perpétuelles dans les recoins du monde.
La ville est froide et
grise,
morne et lisse, comme si le jour avait échoué à
renaître
de ses cendres. Elle sent la solitude, elle sent les désirs
moites
et avortés de la solitude, elle sent sa frustration.
La ville s’exprime par le
bruit,
sa langue est le vacarme des bouches tristes, elle tousse, elle crache,
elle
vomi, c’est sa façon à elle de réclamer l’amour.
Le soleil se lève malgré lui.
Les peaux se frôlent, la vie se débat.
Les corps abandonnés se débattent sous l’illusion d’un
petit
matin ordinaire, sous l’illusion du parfum des boulangeries dans le
soleil
lointain.
Je traverse la ville.
Friche des solitudes.
Je traverse le pays des hommes sans nom.
Je suis seul. Il me manque la moitié de moi-même, ma
meilleure
moitié, et déjà le temps sans elle se mange
lui-même
la queue. Il s’agrippe à la crasse avant de disparaître,
il
retourne se débattre avec les autres, il recommence à se
perdre,
tout seul, comme un grand, dans le pays des hommes sans nom. Ma
jeunesse
se nécrose, elle ne me protège plus.
Pourtant, en visitant ces ruines, je sens la force qui maintient
malgré
tout mon corps droit et ma tête à l’endroit. L’amour
distille
constamment sa lumière solide dans mes veines. Je retourne
d’où
je viens mais je n’en fais plus partie, car l’amour me protège.
Que
je le veuille ou non, je suis protégé, toujours, par la
grâce
que quelqu’un a posé au fond de mes yeux. Je peux traverser des
déserts,
des pays dévastés, des mers froides de silence. Je peux
traverser
le pays des hommes sans nom. Je peux combattre le serpent qui se mange
lui-même
la queue...
Dans la rue, c’est le
grand défilé des hommes sans nom.
Sur les routes, c’est la danse figée des ombres dans le vent.
L’univers s’est organisé.
Il a comploté dans mon dos pendant quinze milliard
d’années
pour que j’en arrive à mâcher des glaçons de
mélancolie
au centre d’une ville grise et plate comme un morceau d’orage aplati au
marteau.
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Du courage
Il en faut du courage
pour mettre un jour devant
l’autre
avec nos pieds mal
dégrossis
Il en faut pour se battre
ou pour ne plus se battre
pour décider de quelque
chose
dans le trou profond de chaque
vie
Il en faut pour se lever
pour travailler l’un devant
l’autre
et disparaître
il en faut pour apprendre
il en faut pour attendre
pour balayer devant sa porte
construire une boite
d’allumette
ou déblayer le fond du
puits
qui relie nos
têtes à nos ventres
Pour mettre un jour devant
l’autre
et caresser sans arracher
les ailes des papillons de nuit
Il en faut du courage
pour faire attention à
ce monde
sans qu’il fasse attention
à nous
pour investir dans la perte
se faire grignoter les secondes
séparer les gouttes de
pluie
et mettre un jour devant
l’autre
THOMAS VINAU
(28 ans, habite au pied du Luberon
encore des rêves et quelques mots
plusieurs participations dans différentes revues net et papier
ami des pierres et des brindilles
supporter des poussières
militant du minuscule)
invité au salon de lecture novembre 2006
par Jean-Marc La Frenière
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