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LA THÉORIE DE LA RELATIVITÉ


Je suis née le 27 septembre 1954. Quinquagénaire depuis trois ans et des poussières. « Tu es poussière et tu retourneras en poussière ». Glurp !

Ben, y’est trop de bonne heure ! Y’a trop de bonheurs encore à venir !

Il me semble toutefois avoir atteint le sommet de l’Everest et redescendre lentement au camp de base, un peu étonnée de la rapidité de mon expédition; essoufflée, étourdie; euphorisée et consciente de l’altitude. Le vide m’aspire.

Mais ma nature a horreur du vide. Je résiste, stoïque. Légers vertiges, angoisses
des « profondis clamavi ad te, Domine », euh….ce doit être l’ivresse de l’altitude.

Un épais brouillard enveloppe le pied de la montagne alors que d’où je suis, je vois si loin. Si loin, là-bas,… derrière moi…
À six ans, vingt ans, c’est vieux. À vingt ans, quarante ans, c’est loin. À cinquante ans, soixante-dix ans, c’est dans quelques minutes. Ensuite ???

Tout est relatif.

À l’âge de raison, la première cloche met fin à la récréation de la toute petite enfance. La maîtresse d’école (on les appelait ainsi) d’un mouvement sec et répété du poignet, fait tinter le grelot de la sagesse et de la connaissance. Ding et dong. Digne et docile, je prenais le rang, je rentrais dans le rang, je venais du premier rang: le Rang croche.

Écrire, mais surtout lire, furent pour moi des joies indicibles : Martine à la ferme, Tintin au Congo, Bécassine à la mer ont jalonné mon enfance, Sylvie à Hong Kong, Sissi à Vienne et Robinson Crusoé sur son île m’ont fascinée et lentement amenée à découvrir le pouvoir de la littérature. J’allais d’enchantement en enchantement, de découvertes en découvertes. Je vivais, je me dédoublais, je me quintuplais, je me décuplais, je me… Je, Me, Moi.

J’aimais passionnément, je voyageais, j’étais agréablement terrorisée par des malfaiteurs, j’assassinais sans méchanceté d’horribles bonhommes, j’absorbais du poison sans en souffrir, je bataillais victorieusement contre Attila le Hun,… le Deux, le Trois ; je recevais les hommages courtois des chevaliers du Moyen Age. Je vibrais passionnément, je me gorgeais d’aventures, les histoires transgressaient ma propre histoire. « Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir ? »
Ma vie, elle, m’entraînait à bride abattue, dans des sentiers battus et longuement débattus : amour, mariage, divorce, ramours, ramures (1), ruptures. Rrrrrrrrrrrrrrrrrr.

Aujourd’hui, je repense à la chanson « C’est à trente ans que les femmes sont belles. » Comme je l’ai cru ! J’avais trente ans, hier. Plus de vingt années se sont passées. La vie est un éclair, disait l’autre. Il faut avoir passé le cap de la cinquantaine, pire que le Cap Horn pour en saisir tout le sens.
Maintenant que la maturité grave sur mon visage les lignes de ma vie, le temps sculpte son oeuvre. Je suis la statue de la Liberté , la Piéta de Michel Ange, la mère et son enfant de Rodin. Je suis l’oeuvre du temps et j’en suis fière. Je suis unique dans toutes les acceptions du terme et c’est plus vrai que jamais. L’un de mes anciens amoureux m’appelait la Déesse de Mulot qu’il confondait évidemment avec la Vénus de Milo. Aujourd’hui, je goûte encore le compliment. Un mulot, c’est si petit, si mignon ;)  Et puis, la Vénus de Milo n’a pas de bras ; j’enlace bien mieux qu’elle.

J’ai déjà pensé que la beauté n’appartenait qu’à la jeunesse ! Qu’à ma jeunesse. Pffff !

Tout est si relatif.

Dans la jeune vingtaine comme la méchante reine dans Blanche-Neige, je consultais la psyché : « Miroir, miroir, dis-moi si je suis belle ».
Toutes les semaines, je faisais le test du crayon sous les seins, bouleversée à l’idée qu’il tiendrait là et que je n’aurais pas à le ramasser sur le carrelage de la salle de bain. Maintenant, je me satisfais du test de la lampe de poche…

Tout est si relatif.

A vingt ans, j’avais inventé une sorte de yoga : je me couchais à plat sur le lit, j’inspirais profondément, je retenais mon souffle pour attacher… mon jean; à tous les matins, je repassais mes longs cheveux de jais sur une planche, je maquillais mes yeux de khol charbonneux telle Néfertiti, Néfertari, Cléopâtre et tous les pharaons réunis. Maintenant, je suis heureuse qu’il y ait encore des jeans à ma taille, j’ai banni le khol à tout jamais pour qu’on ne remarque pas que sous le charbon, il y a un peu de cendre (même si des braises s’y consument encore) et je me teins les cheveux pour camoufler ce gris que l’on ne saurait voir. A vingt ans, j’étais profondément tourmentée parce que je ne possédais pas de fossettes mutines sur les joues. Maintenant, j’en ai partout sur les fesses et je ne m’en réjouis pas pour autant.

Tout est si relatif.

J’ai dilapidé ma fortune en petits pots remplis du rêve crémeux et parfumé d’un idéal de beauté. Bercée d’illusions, je fus. Là, je me berce avec mon chat sur les genoux. Il m’arrive encore certains soirs de me tartiner la frimousse dans l’espoir d’atténuer les stigmates du temps. Je me bats contre mes contradictions, mais je me bats aussi pour que les jeunes femmes, mes petites sœurs, n’oublient pas leur personnalité au profit des industries d’Aphrodite, pour qu’elles combattent lucidement les Chimères de Jouvence.

Comme tout est relatif !

Je suis aussi devenue très épicurienne. « Cueillez dès aujourd’hui les roses de la vie » disait Ronsard au XVl ième siècle. Et avant lui Épicure. Je cueille, je cueille, je recueille. C’est l’heure de la moisson. C’est l’automne.
Je pense à moi. Je, me, moi. Il est temps parce que le temps…le temps, le temps, le temps et rien d’autre( 2)…parce que, pour combien de fois encore reviendra le temps des lilas et des cerises ? Comme je les hume ces fleurs et ô combien je les déguste ces fruits ! Délectation de petits bonheurs ! Dire qu’avant, l’idée du bonheur, c’était le grand prix du loto 6/49, un voyage autour du monde et un manteau de vison noir...

J’ai aussi appris qu’il est doux de se gorger de péchés pour ensuite sentir les petites pointes de la culpabilité. C’est pas mal mieux que les pointes d’arthrite. Oublier et recommencer tant qu’on peut. Etre faillible, c’est être vivant ! Pardonnons-nous, mes bien chers enfants, c’est la Mère Michèle qui vous donne l’absolution et peut-être bien l’absolu !
Les péchés de jadis ne sont plus péchés.
Ciel ! Tout ce qu’on a raté ! J’enrage ! Il faut vite transgresser les règles, se rebeller, vite, vite, vite. Mieux valent les remords que les regrets ;) Je veux pécher. J’ai toujours adoré la « pêche »… Tant qu’on peut tenir la ligne et qu’on rêve que ça mord… Puis je veux mordre dans cette pêche bien mûre. J’ai la pêche ! (3) Il y a plusieurs sens à un mot ; il y a plusieurs sens à ma vie.

Tout est incroyablement relatif.

Est venue la cinquantaine et avec elle, cette compréhension soudaine de la théorie de la relativité.
Einstein, c’est moi ! La Mère Michèle et la déesse de Mulot aussi.

Je vous l’ai dit : Tout est si relatif !


Michèle Bourgon
Québec

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*1- Les cornes, les ramures sont des symboles d’infidélité.
*2- Chanson de Charles Aznavour
*3- Avoir la pêche : être chanceuse.







 


Michèle Bourgon
pour francopolis octobre 2008


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Créé le 1 mars 2002

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