Un herbier poétique japonais, le hanafuda
Le hanafuda ou «jeu des fleurs»
est un jeu de cartes japonais composé de douze séries de
quatre cartes représentant chaque mois de l’année et un
végétal. Une partie se joue généralement en
douze manches, correspondant aux douze mois de l’année.
Au travers le hanafuda
l’on perçoit toute la culture japonaise car chaque carte
rappelle un poème (tanka ou haïku), une légende, un
peu comme Lewis Carroll qui s’amusa à détourner les
comptines enfantines dans «Alice in Wonderland», où
chaque anglais avait en tête la comptine originale.
Les japonais sont très proches de la nature et ont une culture animiste à
travers le shintoïsme. Chaque haïku (poème japonais en
trois lignes de 5-7-5 syllabes) contient un kigo, mot de saison comme ici avec hanafuda où chaque carte contient un symbole rappelant le mois, la saison.
Le tanka
(poème japonais de cinq lignes en 5-7-5-7-7 syllabes) est
le rythme primordial de la poésie japonaise d’où le haïku a pris sa source.
«Les
poèmes du Japon ancien sont comme les lettres de Taira no
Sukemori, mémoire indélébile transparaissant sous
les signes et résistant au temps. Jouer au hanafuda, c’est
en faire affleurer le souvenir, en ouvrant l’herbier merveilleux des
contes et poèmes du Japon classique. Quiconque y joue ressuscite
l’alliance ancienne entre les textes et les paysages et retrouve, sous
les images, le chemin des fleurs et des arbres.»
(Véronique Brindeau)
Je vous offre ces poèmes et brindilles de
mots cueillis dans l’herbier merveilleux de Véronique Brindeau illustré par
Frédéric Clément « Le jeu des fleurs : Hanafuda » aux éditions Philippe Picquier
que je recommande chaudement à nos lecteurs.
Un herbier poétique japonais, le hanafuda
Janvier : pin
La cloche du temple résonne
la nuit s’évanouit dans le jour
le vent de l’aube traverse les pins
les rêves se déchirent, vient l’éveil
les rêves se déchirent, vient le jour.
Zeami
Le pin et la
grue sont les emblèmes fastes du mois de janvier, par lequel
s’ouvre une longue année pleine d’heureuses promesses.
Depuis le XVIIe
siècle, la grue est la forme par excellence de l’art du pliage,
l’origami, enseigné dès le plus jeune âge. Plus
qu’une forme, c’est un voeu que l’on compose pli à pli, en une
guirlande de mille oiseaux suspendue aux arbres des temples et des
lieux du souvenir.
Février : prunier
Fleurs de prunier blanc
parfum d’une pierre d’encre
dans un pavillon chinois.
Buson
Février est un paysage en blanc et noir, comme une onde de neige
dans les traits calligraphiés des branches d’un prunier.
Fleur des calligraphes et des poètes, tous épris d’encre
de Chine et de neige, le prunier sait aussi annoncer comme le
rossignol, auquel il est associé dans de nombreux poèmes,
les couleurs vives du printemps proche.
Mars : cerisier
Le monde
n’est plus que fleurs
de cerisiers.
Ryôka
La fleur de cerisier est l’image même du printemps.
L’esprit des fleurs de cerisier appartient au vent de la montagne, aux collines neigeuses du printemps.
Avril : glycine
Glycine en fleur
voix des pèlerins
voix des oiseaux.
Issa
Volubile et mauve, la glycine est une vague. En elle s’annonce l’été, dont le chant du coucou prolonge l’appel.
Lire ces poèmes, les dire surtout, en éprouver le
balancement impair nous convie à une autre modalité de
l’attention aux choses, et nous fait découvrir en effet, devant
l'améthyste des fleurs, l’ondoiement d’une mer.
Mai : Iris
Dans tous les étangs
j’ai trempé mes manches
en quête d’iris
aux racines aussi profondes
que mon amour.
Sanjônin no Nyôkurôdo
On offrait aussi des iris à longue racine pour souhaiter salut
et longévité. Dans la rhétorique amoureuse, ces
racines étaient à l’image même de la profondeur des
sentiments.
La carte des «Huit-ponts» évoque le lieu du
même nom où jadis, un poète japonais composa un
acrostiche à partir du mot «iris» (kakitsuhata cinq syllabes). Ce lieu légendaire des «Huit-Ponts» est devenu un uta-makura
ou «oreiller du poème», c’est-à-dire un
paysage célèbre qui porte dans son nom, en cinq ou sept
syllabes qui sont le rythme fondamental de la poésie japonaise,
tout un monde ancien de sensations et de sentiments, sur lequel les
poètes ont de tout temps appuyé l’édifice de leur
rêverie.
Juin : pivoine
A cent lieues à la ronde
elle repousse la pluie
la pivoine.
Buson
Ce ne sont ni les pluies ni le vent qui menacent les pivoines mais bien
la force du soleil, au point qu’on les protège par une ombrelle
de papier, qui fait une ombre rouge tout autour de leur pied. Sans
poids et sans bruit, le papillon dispose autour de la pivoine quelque
chose de vibré et d’impair qui rafraîchit comme une onde
l’incandescence de son rouge.
Juillet : lespédèze
Sans faire tomber
une seule goutte de rosée
doucement ondule le lespédèze.
Bashô
Tant de poèmes le lient à la rosée, figure
poétique des larmes, au vent d’automne qui disperse les
fleurs, que le lespédèze est à lui seul un adieu
et un chant.
Les buissons de lespédèze sont associés à
la province de Miyagi, au nord de l’archipel, où croissent en
abondance ces buissons oiseleurs qui saisissent la rosée. Au
point que le nom de Miyagi figure en poésie comme un exemple d’uta-makura
(oreiller du poème) qui désigne par un glissement
des sens non plus l’espace d’une province mais le temps d’une saison.
Août : miscanthe
Micanthes fanées
coeur solitaire
qui tressaille.
Issa
La miscanthe est le cœur secret, nostalgique et scintillant, des
automnes de l’ancien Japon, l’alliée des poètes et
des sages retirés du monde.
Septembre : chrysanthème
La rose est plantée dans la terre
le chrysanthème est cultivé
dans le brouillard.
Paul Claudel
Discret, automnal, le chrysanthème blanc est celui des
poètes, du givre, du parfum secret de l’hiver. De l’amour aussi,
de sa constance, dont il réunit les traits
indéchiffrables et les silencieux.
Octobre : érable
La feuille d’érable
on en voit l’envers, l’endroit
tandis qu’elle tombe.
Ryôkan
Les érables sont les cerisiers de l’automne.
Avec la lumière qui décroît, c’est tout le spectre
des couleurs du règne végétal qui se
déplace vers le rouge, l’orangé et le jaune,
libérant des myriades de teintes jusque là inconnues mais
en réalité déjà présentes et
seulement contenues, retenues sous la dominante de la chlorophylle par
le charme du printemps.
Novembre : saule
Par un trou de mon parapluie
en papier huilé
un saule.
Bashô
En matière de haïku, le saule est de toutes les saisons. Il
s’allie aux fines pluies de printemps comme aux rigueurs de l’hiver. De
neige ou de pluie, toujours il danse et ploie auprès de l’eau.
Décembre : paulownia
Cette solitude
la partagerais-tu
feuille de paulownia ?
Bashô
La couleur, la forme si particulières des longues hampes du
paulownia, tout comme ses larges feuilles, viennent ainsi donner au
mois de décembre une solennité délicate et suave.
Il est l’emblème du cabinet du Premier Ministre. Le rythme de la
poésie japonaise (5-7-5) loge jusque dans l’ordonnancement
des fleurs (deux hampes à cinq fleurs entourant une hampe
à sept) et se glisse comme un haïku secret dans le blason
même du pouvoir.
J'ai récolté et façonné ces
étincelles dans le calendrier poétique de
Véronique Brindeau illustré par Frédéric
Clément « Le jeu des fleurs : Hanafuda » aux éditions Philippe Picquier.
Un herbier poétique japonais, le hanafuda
recherche Juliette Clochelune
à travers l'écrit de Véroniqe Brindeau
Francopolis janvier 2010
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