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de Antonella , sélection
février 2003:
J’ai de nouveau
voulu me suicider. C’est la troisième tentative en trois
semaines. Et une fois de plus, ça a raté, on dirait
vraiment que c’est fait exprès. La semaine passée,
c’est le chien de la voisine du dessus qui avait fait ses besoins
sur mon paillasson, et elle est venue pour s’excuser. Je m’en
fichais complètement, à vrai dire, mais le temps
qu’elle me raconte ses histoires, avec la description détaillée
des problèmes rénaux de son animal en prime, et
le bain dans lequel j’avais prévu de me trancher les veines
était tout froid. Après, impossible de ravoir de
l’eau chaude, vu l’heure tardive, alors j’ai laissé tombé.
Suicidaire peut-être, mais douillette. Finalement, je suis
simplement allée dormir, toute seule, avec ma bouillotte.
C’est génial, une bouillotte. Je ne pourrais plus m’en
passer. J’aime la faire rouler le long de mes jambes, les pieds
d’abord, puis les mollets, et enfin, les cuisses. C’est bon cette
chaleur partout sur mon corps. Pour m’endormir, je l’appuie sur
mon ventre et m’enroule autour d’elle. Quelquefois, avant d’aller
me coucher, je reste exprès debout un instant devant ma
fenêtre ouverte, jusqu’à avoir froid, pour mieux
sentir les frissons de bien-être m’envahir quand j’entre
dans mon lit.
Hier soir, j’avais consciencieusement avalé toutes les
pilules gentiment fournies par différents médecins,
après avoir littéralement bouffé comme une
cochonne, puisque je savais n’avoir plus jamais à vivre
le moment désespérant où j’essaie d’entrer
dans la jolie jupe que j’ai achetée deux tailles trop petite
en me disant qu’avec un petit régime et un peu de volonté,
elle finirait par aller, et où je me rends compte que mis
à part un miracle ou une liposuccion générale,
il y a peu de chances que j’arrive un jour à emballer mon
popotin là-dedans. Toute une vie de privations et d’efforts
pour correspondre à la norme, vous vous rendez compte ?
Toute une vie à porter ce corps comme une fatalité,
comme un objet de honte. A lui refuser la nourriture, les petits
plaisirs, la joie des excès..ah ça, oui, je me suis
battue, mais pour quelle cause ? Je m’étais donc empiffrée
de cochonneries de toutes sortes la conscience tranquille, et
je venais de prendre mes médics avec un grand verre de lait
(mon péché mignon, le lait), quand on a sonné à
la porte. Merde ! pas moyen d’être tranquille, mais comme
ça insistait, je suis allée ouvrir. Je me suis trouvée
face à une autre de mes voisines (c’est galère d’habiter
dans ces immeubles de petits appartements pour célibataires,
ils croient toujours que vous ne demandez pas mieux que de sympathiser)
avec qui j’avais eu la bêtise de discuter une ou deux fois
et qui voulait absolument, mais alors absolument me présenter
sa sœur en visite (pour une fois, vous pensez), même qu’elle
avait préparé sa spécialité, pour
l’occasion, le cake au citron. Je vous jure, impossible de me
dépatouiller de cette bonne femme. J’ai prétexté
un ravalement de façade bien nécessaire pour aller
aux toilettes me mettre un doigt dans la gorge, histoire de ne
pas claquer au milieu de son salon. Quand je pense à la
peine que j’ai eue à obtenir ces foutues pilules, ça
me fait encore rager. Si bien qu’au lieu de mourir tranquillement,
je suis rentrée trois heures plus tard, soûle de
blablas et le ventre plein à craquer de toutes les choses
grasses et sucrées que les nanas avalent consciencieusement
pour s’empêcher de déprimer. Je ne vous dis pas le
lendemain matin. En me réveillant, j’avais l’impression
d’avoir une grosse gueule de bois. Je ne me suis presque pas reconnue,
dans le miroir. J’étais, comment dire, gonflée,
bouffie, moche, quoi ! C’est vrai que s’il faut penser à
tout, épilation des sourcils, crème anti-rides,
sérum effet lift, contour yeux, gel anti-cellulite, shampoo
pour cheveux secs et cassants, masques revitalisants, eye-liner,
mascara allongeant ET épaississant, rouge à lèvres
sublimissime (mon oeil), régime, fringues, sans compter,
et c’est la cerise sur le gâteau, les poils sur les mollets,
on n’a pas fini de se faire chier, nous les bonnes femmes, excusez
l’expression…Faut souffrir pour être belle qu’y disent.
C’est sûrement un mec qui a dit ça. En fait, il faut
surtout s’imposer des contraintes sans fin pour être juste
mettables, ça, c’est la réalité, en tout
cas, c’est ma réalité. Tout ça pour quoi,
hein ? pour se donner l’illusion que le temps ne passe pas ? Qu’on
a encore toutes nos chances ? Que tout nous est encore permis
? Mensonge, mensonge et illusion ! Ben moi, j’en ai marre, plus
que marre de tout ce cirque. Ce que je voudrais, c’est pouvoir
laisser pousser tous mes poils, arrêter d’aller chez le
coiffeur, balancer à la poubelle tous ces produits qui
m’ont coûté la peau des fesses, laisser ma tronche
se rider comme une vieille pomme, m’habiller avec des sacs poubelle,
et qu’on me foute la paix. Parfaitement, qu’on me foute
la paix. Je ne dois rien à personne, en fin de compte. Pour ce
que ça m’apporte, de toute façon, tous ces efforts..Marre
des petites vexations des collègues du style « t’aurais
pas des soucis, toi, ces temps, t’as pas l’air très
en forme ». Et quel genre de soucis je pourrais avoir ? je
suis toute seule et elles le savent, ces langues de vipères.
Les vendeuses c’est pas mieux, vachement précieuses, celles-là
: « ah, mais ça, madame, c’est très tendance,
très teenage, vous savez ». Elles te diraient en
face que tu es passée de mode, ça ne serait pas
pire. Je leur en mettrais bien une dans la figure, histoire de
leur montrer si je ne suis plus sur le marché…
Je n’étais pas seule, il y a quelques mois. J’avais
un amant, du genre avec qui rien ne va mais avec qui tu restes quand
même parce que tu te dis que c’est peut-être le moment
de mettre un peu d’eau dans ton vin si tu ne veux pas mourir seule
et te faire bouffer par ton chat. Bon, c’est peu probable, puisque
je n’ai pas de chat. Tant qu’à être seule,
autant l’être vraiment. Personne…il n’y a jamais personne
chez moi. Personne pour allumer la lumière avant que j’arrive,
pour mettre un peu de désordre, pour faire du bruit, pour
m’apporter le café au lit le matin. Rien. Rien de vivant,
rien de joyeux. Jamais de dispute à la maison, ça
c’est sûr..
Bon, j’en étais au mec..j’ai fini par craquer quand
il m’a fait pour la quatrième fois le coup de l’invitation
au resto. Au moment de payer, il tourne vers moi sa face de rat
et me dit : « alors, ma douce, on partage ? ». J’ai
failli lui faire avaler le bouquet de fleurs à ce radin.
J’ai répondu « non, chéri, c’est pour moi
» et j’ai posé l’argent sur la table. Ensuite, je
me suis levée, je l’ai regardé avec un grand sourire,
et je lui ai versé son verre de vin sur la tête.
Fallait la voir, sa tête ! Il n’en revenait pas, ce benêt.
Puis, je me suis dirigée vers la sortie, royale, et il
a dû retrouver ses petites affaires en tas devant chez moi.
De toute façon, il était mesquin sur tous les plans,
celui-là. Il faisait tout à l’économie, il
me distribuait sa tendresse du bout des doigts, comme il aurait
donné de l’argent à un mendiant dans la rue, sans
même le regarder. Je ne l’ai même pas regretté
le temps d’une nuit.
Me voilà assise à ma table, bien droite. J’ai quoi
comme perspective, hein ? A part un boulot relativement pépère,
mes bouquins et ma musique, bien sûr, mais ça ne
vous remplit pas une vie, non plus. Un bon disque par jour et
un bon livre par semaine et le tour serait joué ? Vivaldi
ou Stendhal pour amants ? Des morts…Continuer, c’est bien joli,
mais pourquoi ? c’est comme une ronde sans fin. Il y a de plus
en plus de vide. Et en fait, si j’ai envie de tirer ma révérence,
ce n’est pas de désespoir, non, c’est de lassitude. Ou
d’ennui. Tous ces jours qui se suivent et, contrairement à
ce qu’on dit, se ressemblent comme des gouttes d’eau. J’ai bien
essayé de m’extasier sur le sourire du marchand de journaux,
le regard du petit du deuxième ou les jolies fleufleurs
qui pointent leur nez au printemps. Après tout, on est
censé être sensibles à tout ça. On
est censé trouver le bonheur en soi, ou au moins, trouver
que la vie « vaut la peine d’être vécue ».
Mais que dalle, pas moyen d’y croire. En moi, il n’y a rien, le
néant. Toutes ces belles choses que la vie nous offre,
soi-disant. Je t’en ficherai, moi, des belles choses. Faut positiver,
à ce qu’on dit. Oui, bien sûr, mais il faudrait peut-être
que j’aie une bonne raison, pour ça. Pense à toi,
c’est le leitmotiv, fais pour toi, écoute-toi. Mais c’est
comme si je n’avais plus rien à me dire. Je me sens moche,
fatiguée de moi.
Je n’ai même plus envie de pleurer ou de déprimer.
Non, j’ai juste envie de rien, de lâcher, de ne plus être
là à faire ce que je suis censée faire. L’amour,
je n’y crois plus, si toutefois j’y ai cru un jour. On nous
farcit tellement la tête de n’importe quoi qu’il ne
faut pas s’étonner si on est déçu après.
Trouver son âme sœur, son alter ego comme on dit dans les
petites annonces..ça me fait hurler de rire, ou de dégoût.
Comme si on n’était pas toujours tout seul. Comme si c’était
possible que quelqu’un nous connaisse vraiment et nous aime comme
on est. J’aurais peut-être pas dû le faire passer,
quand je me suis retrouvée enceinte, à dix-huit
ans. Non, j’aurais peut-être pas dû. Peut-être
que tout aurait été différent. Mais j’avais
tellement peur, et j’étais si seule, qu’est-ce que je pouvais
faire, hein ? qu’est-ce que j’aurais dû faire ? Mes
parents ne voulaient plus rien savoir de moi dans mon état
et le « père », il était parti en courant.
Je n’étais qu’une gosse, je ne comprenais même
pas ce qui m’arrivait. Au fond, pour moi, c’était
pas si grave. C’est quand j’ai vu leur réaction que
j’ai commencé à me sentir sale. Comme si j’avais
fait une chose horrible, alors que c’était la première
fois de ma vie que je me sentais un peu aimée, regardée.
Je suis toujours restée sale. J’ai toujours eu honte. Toute
ma vie. Pourtant, j’ai fait ce qu’ils voulaient que je fasse.
Après, c’était trop tard, et on ne peut pas passer
son temps à regretter ce qu’on a fait. Ni d’ailleurs
ce qu’on n’a pas fait. Moi aussi, j’ai eu des rêves…
Maintenant, ça suffit. J’en ai marre. Fatiguée.
De plus en plus fatiguée. Probablement parce que tout à
l’heure, j’ai ouvert le gaz et que ça commence à
faire son effet..Pourvu qu’une de mes chères voisines n’ait
pas la bonne idée de venir sonner…
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