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de Bozena
Bazin, sélection septembre 2004
Elle se présente
à nous.
..... une suite de 4 textes
INSTANTANES DE LA MEMOIRE.(2) |
Elle a exilé le souvenir de cette journée dans la forteresse
de sa mémoire.
Il s’y morfond en compagnie de ses semblables.
Souvenirs reniés, souvenirs douloureux, souvenirs mortifères.
Condamnés à perpétuité.
Quartier de Haute Sécurité. Surveillance Maximale.
L’OUBLI est leur destin.
Tenaces et sournois, ils creusent de tunnels dans la roche fossilisée
de leur prison : ils veulent voir la lumière, ne fut-ce que le temps
d’un battement du cœur, soudain affolé.
Ils y parviennent parfois et déploient, alors, leurs ailes de
corbeau, en dévorant le soleil de leurs becs acérés.
Ils se transforment en miroir brisé : mille instants, figés
pour l’éternité, du même souvenir. °°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°
Puzzle incomplet de cette journée-là.
Elle marche, seule, dans la rue ensoleillée, anesthésiée
par l’incompréhension et le choc. Enfermée dans la bulle opaque
de la douleur, elle pose précautionneusement, un pied devant l’autre,
compte le nombre de pas pour ne plus penser à ce qui vient de s’accomplir.
Au coin de la rue, elle s’arrête, hésite un long moment,
se retourne et regarde l’attroupement de badauds, la voiture de la police,
et l’ambulance.
On lui a dit de prendre le tramway : fillette obéissante, elle
reprend la route ; son chemin de Golgotha.
Indifférent, le soleil brille de tous ses feux, soudain glacés.
» Il aurait dû se couvrir la face d’un voile noir « pense-t-elle
fugitivement.
Une foule dominicale, joyeuse et désordonnée, flâne
dans la rue. Les rires fusent, explosent en mille éclats acérés
d’une grenade dégoupillée et déchiquettent, un peu
plus, son cœur endolori.
Une chambre, chez des proches parents, où, la nuit, elle a peur
de voir un fantôme.
Un oreiller qui étouffe le bruit de ses pleurs.
Le retour à la maison qui n’a gardé aucune trace visible
de ce dimanche-là: les murs repeints, les trous colmatés.
La question que tout le monde se pose « pourquoi a-t-il fait cela
? »
Un éclat de grenade, conservé précieusement avec
les médailles, dans une boite en bois ouvragé.
L’image, entrevue l’espace d’une seconde, et pourtant incrustée,
à tout jamais, dans sa mémoire: celle d’une jambe dénudée
apparemment intacte. On lui a dit qu’elle avait crié au moment de
la déflagration: elle n’en a gardé aucun souvenir et reste
dubitative.
Les photos, en noir et blanc, de l’enterrement auquel elle n’a pas assisté.
« A cause de ton âge » lui a-t-on expliqué.
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