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de Bozena Bazin, Sélection
No.19
Octobre 2004
"Le journal intime de Sacha" est mon premier texte écrit
pour les enfants. "
Elle se présente
à nous.
LE JOURNAL INTIME
DE SACHA
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20 mars 2004.
Hier au soir, j'ai pris une grave décision
Je vais sortir de mon mutisme pour noter mes observations et mes états
d'âme. Cela fera plaisir à maman qui se pose mille questions
à mon sujet. Elle m' agace souvent avec ses taquineries et, ses
coups d'œil curieux et inquisiteurs. En me lisant un jour, elle se rendra
compte que je ne suis ni une tête brûlée ni un kamikaze.
Je sens toujours l'angoisse qui l'enveloppe de son aura brumeuse, au léger
parfum de citronnelle, quand, plantée sur le pas de la porte, elle
guette mon retour tardif d'une de mes nombreuses virées nocturnes.
Je vais utiliser son ordinateur. J'observe souvent maman quand, assise
derrière son bureau, elle pianote sur les touches du clavier ; le
crépitement qui résonne dans la pièce me fait penser
au grattement furieux d'une souris ou à la pluie tambourinant sur
les vitres.
Je m'installe à côté d'elle ; je regarde ses longs
doigts, son visage où flotte toujours l'ombre d'un sourire, ses
cheveux poivre et sel. Je lis les phrases qui naissent, miraculeusement,
sur l'écran et je crois voir les traces que les pattes des moineaux
ou de pigeons sèment, au cœur de l'hiver, sur la neige immaculée
de notre jardin.
Je frôle le clavier ce qui irrite maman ; une légère
tape me rappelle alors à l'ordre.
Quand elle s'absente, je passe des heures, en contemplation béate
et hypnotique, devant l'aquarium factice de l'écran de veille.
Trois poissons exotiques y nagent, parés de mille couleurs dérobées
à l'arc-en-ciel.
21 mars.
Notre famille n'est pas nombreuse. Il y a maman, papa, et Tom, le vieux
labrador noir qui dort tout le temps dans son panier. Ma grande sœur Lola
est mariée et a 2 enfants, de véritables chenapans que je
fuis dès qu'ils pointent le bout de leur nez chez nous. Ils prennent
un malin plaisir à me poursuivre dans le jardin en hurlant comme des
possédés. Je me sauve alors dans le grand marronnier ou je
me tapis derrière les rosiers de maman. De mes cachettes secrètes,
invisible, j'observe tout ce qui se passe à la maison. Quand je m'ennuie
trop, je vais rendre visite à nos voisins : un gentil couple de vieillards,
qui m'accueillent toujours avec joie en m'offrant un bol de lait bien crémeux
et un fauteuil moelleux. Ils aiment me parler de petites choses de leur
vie solitaire. Ils me disent que je suis leur rayon de soleil. Pudique,
je baisse les yeux et je soupire d'aise en savourant la quiétude
de ce lieu. Souvent, je passe la nuit chez eux. Mes parents ne s'en offusquent
pas. Ils comprennent mon besoin de liberté et me savent en sécurité.
22 mars
Ce matin, je sens que le printemps se tapit dans l'air frisquet, prêt
à s'abattre sur la terre qui attend avec impatience ses caresses.
J'observe à travers la vitre les pommiers et les pêchers couverts
de milliers de fleurs fragiles aux couleurs pastel qui me font penser aux
minuscules tasses, en porcelaine de Chine, de maman. Elles sont si délicates
qu'elles quittent rarement leur abri douillet. Le souffle du vent frôle
les fleurs et tisse avec leurs pétales un somptueux tapis qui couvre
l'herbe au pied des arbres. Je sursaute Un troupeau débraillé
et jacassant de dizaines de moineaux, en uniformes gris et froissés
s'installe dans les branches pour y tenir conseil. Je sens tous les muscles
et les nerfs de mon corps se tendre à l'extrême. J'ai une
folle envie de m'élancer et de courir, souple et silencieux, vers
eux pour interrompre leurs conciliabules fiévreux. Je sens alors
qu'une main se pose sur ma tête et j'entends maman qui me murmure
doucement à l'oreille - On se calme, mon petit Sacha. Son chuchotement
me fait penser au ronronnement de Yoko, la jolie chatte siamoise, qui habite
une maison voisine.
23 mars.
Il pleut sans discontinuer. Je n'ai pas envie de sortir. Je tente de
tirer Tom de sa léthargie pour jouer avec lui ; il ouvre un œil,
me regarde, claque de dents, faisant semblant de me mordre et se rendort.
Frustré, je me promène à travers la maison en inspectant
tous les coins et recoins. En passant devant la porte entrouverte du cagibi
sous l'escalier, j'entends le grattement, à peine audible, d'une
souris. Je me faufile à l'intérieur, je m'accroupis et je
guette son apparition. J'adore les souris : leurs petits yeux en boutons
de bottine, leur museau espiègle, leurs pattes roses me font sourire.
Il faut être patient et persévérant pour les débusquer
mais quel plaisir de jouer avec elles, en les taquinant pendant de longues
minutes.
Je ne connais qu'un autre jeu qui peut rivaliser avec celui-ci et que
j'appelle " froufrou " : la règle est toute simple. Il faut grimper
dans un arbre, s'installer sur une branche assez solide pour qu'elle ne se
casse pas, se dissoudre, pour ainsi dire, dans le feuillage, et attendre,
patiemment, l'arrivée d'un oiseau insouciant et inconscient du danger
qui le guette.
Quelle extase quand on arrive à l'attraper !
Tapi dans le cagibi, je rêve du retour de nos hirondelles qui
vont bientôt rejoindre leurs nids abandonnés depuis plusieurs
mois.
24 mars.
Le soleil est de retour. Il reprend de la vigueur et perd, peu à
peu cet air anémié et neurasthénique qu'il affichait
jusqu'à présent. Mon humeur chagrine n'est plus qu'un lointain
souvenir. Les jours -souris, gris et monotones, ont été rangés
dans un placard cadenassé où ils se morfondent en regrets.
Les rideaux de fenêtres ondoient langoureusement, chatouillés
par la brise aux senteurs acidulées. J'ai quitté la maison
que maman et papa étrillent vigoureusement depuis ce matin ; je préfère
folâtrer dans l'herbe tendre du jardin où la vie grouille,
impatiente de rattraper le temps perdu. J'observe les colonnes disciplinées
de fourmis, les scarabées à l'armure couleur de deuil, les
vers de terre qui bêchent le sol.
Je grimpe dans l'arbre où je viens d'apercevoir un écureuil,
à la fourrure soyeuse et à la queue en éventail qui
lui sert de balancier. Impavide, il continue de grignoter une noisette
qu'il tourne et retourne dans ses petites pattes aux griffes acérées.
Espiègle, il lance les éclats de coquille dans ma direction
et file, comme une fusée, le long du tronc pour se réfugier
dans le creux qui lui sert de domicile. Je bâille, épuisé
par le spectacle de cette vie qui trépigne et s'agite autour de
moi. Je vais m 'allonger à l'ombre du pommier et rêver de
lucioles qui, les nuits d'été, font des clins d'œil coquins
et complices aux étoiles, leurs lointaines parentes, et à
la lune qui roussit d'émotion.
25 mars.
Je me réveille, les papilles affolées par le fumet iodé
qui s'échappe par la porte ouverte de la cuisine. Je hume ces senteurs
affriolantes pour deviner ce que maman est en train de concocter pour
le repas de midi. Mon cœur s'affole en reconnaissant le parfum bien particulier
du saumon. Je bondis dans la cuisine où un poisson énorme,
à la chair rosée, trône dans une poissonnière
que papa s'apprête à mettre au four. Dans ma hâte, je
bouscule maman qui éclate de rire et me met à la porte. Je
rôde dans le couloir, fâché et ronchon. Tom qui se prélasse
sur la paillasse me regarde, goguenard, et se rendort.
Je sors dans le jardin et je vais bouder derrière les rosiers.
2 avril..
J'ai passé la semaine qui vient de s'écouler en vadrouille.
Je rentre à la maison, épuisé et en piteux état
à cause d'une bagarre féroce avec un malotru. J'ai une oreille
déchirée, une plaie ouverte au flanc. Je ne suis pas beau
à voir mais mon adversaire a battu en retraite vaincu et humilié.
Je cours vers maman qui se repose dans le jardin. En me voyant, elle pousse
un grand cri d'horreur et pâlit affreusement. Je m'élance,
je bondis et j'atterris avec grâce, malgré mon corps endolori,
sur ses genoux. Elle me serre dans ses bras.
Je suis aux anges.
MIAOUU ! MIAOUU ! MIAOUU ! je lui raconte mes folles nuits d'amour
avec Yoko, la siamoise de mon cœur.
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