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Michèle Metni Gharios sélection novembre 2003

auteure libanaise

UN REFUGE DANS LES YEUX


Elle m’en voudra, c’est sûr, d’avoir mis la télé. De toute façon, quoi que je fasse, elle m’en veut et n’hésite pas à me le montrer. Si je réplique, elle me traite d’insolent. Si je me tais, je suis coupable. Si je respire, je deviens fautif.

C’est son heure. J’entends la clé dans la serrure, la porte d’entrée qui claque et je comprends très vite que ça va être ma fête. Ses caprices sont peut-être justifiés, que sais-je ? Moi, l’adolescent moche avec mes yeux endormis qui lui donnent envie de me brutaliser en me lançant des «Réveille-toi ! » continuels.

Oui, ma tignasse la dégoûte, mes boucles noires que je tiens de lui. « Tu es sale, tellement sale ! » qu’elle dit quand elle me voit. « Dégage, casse-toi! » et c’est parti pour au moins une heure.

Lui tenir tête ? C’est impossible. Je ne suis qu’un incapable.
Elle-même me l’a dit, me l’a tellement répété que j’en suis convaincu.

Me défendre ? Allons donc. Quand on est fait comme ça, on mérite à peine devivre. On se doit d’écoper en attendant que la tempête passe, on se laisse entraîner sans résister, on cède comme un galet dans le lit d’une rivière que les bourrasques ont rendu capricieuse.

J’existe, oui j’existe. Et c’est pas ma faute à moi si je suis là, je me console tout bas. Oui, je ne suis pas fait comme elle en a rêvé. Mais m'a a-t-elle au moins rêvé ? Ah ! Je rêve !

La voilà devant moi dans la vaste pièce désordonnée. Elle crie et gesticule.C’est une professionnelle : pieds joints, buste légèrement penché, bras parallèles, voix encastrée par ses deux paumes.
Paumé, je suis paumé.

Ses yeux coléreux crachent des reproches que je ne comprends pas. Je regarde ses créoles se balancer au rythme de ses mouvements saccadés, comme des balançoires abandonnées après une valse ténébreuse.

Je suffoque. Vite, de l’air dans ma tête, du soleil dans mes poumons. Il ne me reste plus que la mezzanine, comme toujours.

Je cours vers l’échelle qui me mènera vers le seul lieu tranquille, l’unique porte de secours.

« Lâche, tu n’es qu’un lâche ! » me crie-t-elle dans le dos. Oui, je suis lâche et je m’en fiche. Je ne le lui dirai pas. Je le pense et c’est très bien comme ça.

Encore quelques marches. Vite, que ça cesse, qu’elle arrête. Une fois hors de son champ de vision, elle m’oubliera, oubliera de m’injurier, de gesticuler. Ses mains, ses bras, ne seront plus que les branchages d’un saule pleureur après un khamsin*.

J’y suis. Le calme. Dans le noir, le silence ouaté me saoule. Sur une vieille paillasse, je m’assieds, ramenant les genoux vers la poitrine, les yeux fermés.

Quelques minutes et me voilà parti. Dans la vallée, la maison de pierres blanches m’attendait. Je sors.

Sur la terrasse, un soleil de plomb m’éblouit. Ses rayons écrasent le sol que le chêne protège en étirant ses branches.

Effronté, le parfum du thym flirte avec le vent. Une brise légère vient me caresser le visage, éponger les perles de souffrance sur mon front humide.

En parfait maître de séant, le paysage invite le regard qui, charmé, se jette dans ses bras verts, panachés.

Je cueille une grappe rouge que la vigne me propose et m’adosse au pied du chêne. Je prends un raisin, le croque. Son jus, d’une douceur suave, envahit ma bouche. Je souris.

Je saisis un autre raisin, plus gros que je premier et le fais rouler sur mon T-shirt. Aurait-il les vertus d’une lampe d’Aladin ? Sans doute, car voilà qu’il se met à briller, laissant apercevoir le reflet du ciel, du soleil et puis surtout mes yeux vivants, pétillants de bonheur.


* Khamsin : vent chaud et violent, chargé de poussière et venant du
désert.



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Créé le 1 mars 2002

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