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Ce mois-ci, Gertrude Millaire a souhaité "adopter" un des textes que nous avions en lecture et nous le présenter. Elle et Cécile Guivarch nous emmènent jusqu'à la porte de cette nouvelle forte et difficile, cette histoire d'amour fou ou de folie, suivant ce qu'on y verra.

Il s'agit de "Elle", écrit par Patricia Girod

L'auteur se présente à nous

Et Gertrude Millaire écrit sur ce texte : "Je suis touchée , émue... en effet la différence tue... à sa manière et cette nouvelle exprime bien la pauvreté du langage de ceux qui ont la parole et l'ouïe.
J'aime bien cette progression qui démontre bien la fatalité d'être différent... la mort la guette, qu'elle soit physique ou dans l'âme. Il n'y a pas d'échappatoire. Un récit bien mené violent mais tout en douceur
."

Cécile Guivarch ajoute : " Je crois que je crois encore aux histoires de princes. Le style est simple, certes, mais l'histoire est bien menée. Le lecteur se prend d'affection pour la mère et la fille, et ceci dès les premières lignes. La mère est émouvante : " je suis restée sourde et muette comme elle, avec elle, près d'elle " mais l'auteur aurait du plus insister sur son personnage, davantage développer ses idées. L'idée des princes fait penser aux contes de Perrault ! C'est une histoire tragique mais racontée sous la forme d'un conte, ça a son charme".

ELLE



Les Princes du silence m'avaient avertie que ce serait une fille et qu'elle serait belle. Dès sa naissance, elle brilla. Il pleuvait ce jour-là, mais, à son premier cri, un rayon de soleil est venu se poser entre ses lèvres, et elle s'est tue. Elle n'a jamais parlé. L'astre lui avait volé la chaleur de sa voix pour nous réchauffer et, en retour, dans ses yeux scintilla un éclat bizarre : lumière magique auprès de laquelle celles de la terre furent à jamais bien pâles.
Quelle que soit l'heure, elle resplendissait, elle dansait et si je ne l'ai vue qu'une fois la nuit, je sais que l'obscurité se nourrissait de ses gestes et que les Etres du silence l'admiraient. Son esprit palpitait et se fondait avec les leurs dans cet Univers où elle était reine d'argent scintillante. Depuis elle, l'ombre n'est plus que l'ombre et le monde caché est vide. Je suis seule...
Ce fut une belle enfant qui ne pleurait ni n'émettait jamais le moindre son, mais qui resplendissait. Et qui dansait. Avant même de savoir se traîner à quatre pattes, tout son corps s'épanouissait en mouvements harmonieux qui semblaient des gestes de communion avec le ciel. Elle levait les mains et c'était une prière, elle arrondissait ses lèvres muettes et c'était un chant, elle fixait la lumière lunaire de ses yeux tendres et c'était une magie. Tout en elle était beauté. Elle était un ange et je sentais le souffle du monde invisible glisser jusqu'à elle et la caresser.
Souvent j'ai eu peur pour ma petite ! Je craignais le froid ou la chaleur, les braises du feu dans la cheminée, le couteau oublié sur l'évier, la précipitation à l'embrasser et à l'oublier de quelque invité de passage chez nous... elle était si fragile !
Elle grandit.
Elle brillait et dansait toujours. Elle ne parlait pas, comme si les mots eussent trahi son cúur. Son cúur, il luisait dans ses regards. J'ai vu des larmes sur ses joues pour les oiseaux blessés, les mendiants, les levers de soleilÖ Les Princes en firent des étoiles. Je l'ai vue sourire devant l'océan et devant les sommets enneigés, en plein froid, les joues toutes roses et ses cheveux soulevés par le vent. De ses sourires, les Princes firent des saisons.
Ils m'ont interdit de lui apprendre les gestes qu'il nous faut souvent connaître pour survivre et je n'ai laissé personne d'autre le faire. Ils l'auraient abîmée, ma toute belle, mon enfant, si je l'avais obligée à utiliser ces gesticulations qui me semblèrent ridicules dès que je la vis danser, briller ou sourire pour la première fois. J'ai cessé, moi aussi, de vouloir être écoutée et comprise, quand ce ne fut pas pour la protéger. Et je suis restée, sourde et muette comme elle, avec elle, près d'elle.
Quand elle devinait mes peurs, elle dansait pour moi. Je la regardais. J'avais si souvent fait la même chose pour combler le silence, pour montrer que j'étais là ! Maintenant, elle existait pour nous deux. Elle était toute ma vie !
Tous les Etres de son univers m'aidèrent à la protéger. Les autres ne la comprenaient pas. Ils voulaient qu'elle aille à l'école, une école spécialisée, pour qu'elle ressemble aux enfants normaux, qu'elle apprenne à s'exprimer ! Ils ne la regardaient même pas danser, ils ignoraient ses larmes, ses sourires, sans doute n'avaient-ils même pas vu qu'elle resplendissait ! Alors, quand ils vinrent, je la gardai serrée dans mes bras, contre mon cúur, et je ne laissai personne l'approcher. Lorsque nous f°mes seules de nouveau, elle me sourit, m'embrassa et dansa. Mais ils revinrent. Ils voulurent me l'arracher, l'emmener... Les Princes nous protégèrent.
Elle, elle resplendissait et dansait. Elle me faisait confiance. Alors nous nous sommes enfermées dans la chambre, clef tournée et meubles poussés devant la porte contre laquelle nous ne les entendions même pas cogner : en paix, toutes les deux ! Nous avions tout ce qu'il nous fallait : une grande fenêtre qui, du troisième étage, rideaux tirés le jour, nous offrait souvent la nuit et ses étoiles. Dans le cabinet de toilette je lui brossais longuement les cheveux. Dans le grand lit nous dormions et rêvions enlacéesÖ Toutes les nuits elle se levait pour danser, et capturait dans ses yeux, les rayons de lune et la mouvance du vent. Chaque matin, son regard était plus lumineux encore. Je ne l'ai vue danser qu'une fois dans la nuit, sans qu'elle le sache.
Depuis combien de temps étions-nous enfermées ainsi, sous le regard tendre des Princes muets ? Il me semblait que nous avions toujours vécu dans cette grande paix. Mais elle eut faim et, comme le temps passait, elle se mit à pleurer, tout doucement, sans gestes : juste de grosses larmes qui coulaient sur ses joues. Je la caressai et elle finit par s'endormir. Puis, elle s'éveilla en sursaut, et pleura encore. Je ne savais plus que faire. Si nous sortions, ils me la prendraient pour qu'elle trouve sa place parmi les autres, ceux qui entendent, ceux qui parlent. Elle serait mal-aimée, mal comprise, raillée même. Les Anges muets ne la suivraient pas au dehors : elle serait toute seule.
Il fallait la laisser vivre tranquillement, comme ça, près de moi. Il fallait qu'elle resplendisse et qu'elle danse. C'est tout !
Mais elle avait faim ! Ils le savaient : il leur suffisait d'attendre. Elle pleura de plus en plus souvent. Dans l'épaisseur des heures qui passaient, les Princes pleurèrent aussi.
Il faisait nuit depuis longtemps déjà. Un souffle d'air venant de la fenêtre ouverte me réveilla. La clarté de la lune coulait dans la chambre. Elle était là, dehors, sur le balcon, plus lumineuse encore que l'astre que je pouvais voir, tout rond dans le ciel. Cêest cette nuit-là que je l'ai vue danser, caressée par l'obscurité qui vivait de son éclat, entourée de ses Amis du silence qui se pressaient pour l'approcher.
Elle dansa. Elle dansa longtemps. Je n'avais jamais rien vu d'aussi merveilleux. Elle s'animait sous la lune, en mouvements plus amples qu'à l'ordinaire, sa tête levée et un sourire sur ses lèvres. Elle était si belle !
Elle tournait le dos à la grille basse du balcon.
Elle s'y est appuyée, s'est renversée en arrière et a disparu dans le vide. J'ai hurlé ! Les autres sont arrivés, j'ai ouvert la porte, je les ai bousculés et j'ai, en courant, descendu l'escalier. Dans le jardin, pour la première fois de ma vie, d'étranges sons parvinrent à mes oreilles : de la musique, la musique de ses danses... Je me suis évanouie dans un néant où le Silence m'enveloppa pour me protéger.
Son corps n'a pas été retrouvé et je suis la seule à savoir que, là où elle est maintenant, là où toutes les paroles laissent place à l'amour, elle ne cesse de danser dans son aura d'argent et qu'elle m'attend.


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Créé le 1 mars 2002

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