Vos textes publiés ici après soumission au comité de poésie de francopolis.







 
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Jean-Claude Renault
  sélection juin 2005

il se présente à vous.


 Labyrinthe

Je marche, je marche depuis si longtemps. Depuis combien de temps ? Je ne sais pas, je ne sais plus. J'ai l'impression que j'ai toujours déambulé dans ces rues et que l'univers s'est restreint à mon cauchemar. Oui, il s'agit bien de rues, d'avenues, de boulevards, de places… Qu'importe le nom qu'on leur donne ! J'erre indéfiniment dans ce dédale à la recherche d'une hypothétique sortie, prisonnier… prisonnier de quoi au juste ?
A quoi bon soulever encore un de ces rideaux ? La première fois que je l'ai fait, j'ai cru devenir fou. Rien ! Le tissu s'est ouvert sur du vide. Mais comment puis-je parler de vide alors qu'il est impossible de le percevoir ? Oh ! Je n'ai vu ni noir, ni nuit, étoilée ou non. En fait, je n'ai rien vu. Rien ! Et l'esprit a parfois cette intelligence de formuler ce que les sens ne reconnaissent pas : ici, je parle bien du néant.
A chaque fois que j'ai relevé cette jupe infinie de la ville, j'ai été terrassé par cette même révélation. Les voiles me masquaient une réalité insoutenable : en dehors du labyrinthe où j'évoluais, il ne restait que l'inexistence. Labyrinthe ? Je crois que c'est le bon mot. Comment pourrait-on définir autrement ce monde ? J'avance sans cesse dans des couloirs de tailles variables, de la ruelle à l'avenue, entre ces tentures, noires, comme celles d'un théâtre refusant à jamais de s'ouvrir sur la pièce de la vie qui n'est plus ni comique ni tragique, qui n'existe tout bonnement plus.
Les rideaux… Ils ondulent dans un drapé régulier dessinant des vagues ténébreuses sur lesquelles naviguent ma peur et mon désespoir. Je n'en devine pas le sommet et je les imagine plus hauts que la tour Eiffel, ce nom qui me vient comme ça… Un vague souvenir… Une évocation… Un édifice métallique, je crois, planté dans le ciel comme l'orgueil de l'homme dans la nature. Mais il n'y a rien derrière ces lourdes étoffes, aucune construction, nulle bâtisse, pas même un immeuble… Encore un terme nébuleux pour moi.
Le ciel… Quand je lève la tête, je constate avec bonheur et soulagement qu'il est toujours là. C'est quelque chose qui me rassure, quelque chose de tangible, enfin si l'on peut dire. Il est toujours aussi bleu, aussi chauffé par un soleil cassant qui, bien qu'absent, me brûle de sa lumière. Jamais cet azur brillant ne s'éteint et je ne compte plus les heures, les jours, les mois… La nuit n'est plus et seul demeure un jour interminable, immobilisé dans un zénith invisible.
J'ai bien été tenté de passer de l'autre côté, de me noyer dans le néant pour échapper à mes tourments, mais, à chaque essai de ma part, une force mystérieuse m'a empêché de franchir cette frontière… un mur imperceptible ou, plutôt, une énergie, une volonté plus forte que la mienne…
Je n'essaie plus et je marche, sans espoir. Je ne dors pas, je ne mange pas, je marche, entre ces damnés rideaux. Parfois, le dédale s'ouvre sur une place et offre quelques instants de répit illusoire à mon angoisse. Une place ? Oui, je sais ce qu'est une place… Encore un mot… que je peux prononcer sans en saisir la totale signification, un souvenir imprécis qui s'impose. Qu'importe ! Après tout, je m'en moque éperdument.
Un jour… mais devrais-je dire un jour puisque je n'ai aucun repère ? Une fois, donc, je débouchai sur une vaste esplanade, avec un marché. Oh ! C'était bien un marché, ma mémoire est parfois capable de prouesses. J'ai bien cru à la fin de mon calvaire. Il y avait là une foule considérable qui s'agitait dans une sympathique effervescence. Je m'arrêtai pour observer, seulement observer et… il m'apparut alors que tout était anormalement silencieux. Je souriais pourtant béatement mais… au fur et à mesure que mon regard rebondissait, ma détresse revenait, plus dure encore. Les étals étaient tous vides, atrocement vides… Les gens, marchands, badauds et autres, n'avaient pas de visage. Ma présence ne fut pas remarquée et, quand je me décidai à entrer, les acteurs et décors les plus proches de moi s'estompèrent. Plus j'avançai, plus la scène s'effaçait. Très vite, je restai seul, si seul, dans ce large espace…
Une autre fois, je me retrouvai sur une grande place circulaire avec de nombreuses rues qui partaient en étoile, tout autour, des boulevards, plutôt, à cause de leur largeur. Ces mots… je ne m'étonne plus de les connaître. Un édifice particulier, dont je ne pus déterminer l'usage, en enjambait le centre. Il était bien haut et constitué d'une arche unique comme un morceau de pont inachevé. Cependant sa structure était régulière et ne permettait pas de supposer un ouvrage à l'abandon, d'autant qu'il était richement paré de sculptures. Je craignis une nouvelle illusion et je préférai m'éloigner en choisissant la plus large avenue que j'avais jamais rencontrée, entre ces rideaux toujours…
Je marche, je marche depuis si longtemps. Pour combien de temps encore ? Je voudrais savoir, je voudrais…

*

Une herbe rase jaunie à l'infini par un soleil criant… Une steppe sèche boursouflée de végétation exsangue… Quelques lignes d'ombre, de pierres parfois : une géométrie floue… Des angles improbables pour un plan incertain : un rectangle, un carré, un autre rectangle et un autre… Un assemblage de figures qui trace des rues fugitives… Les contours de bâtiments à jamais arasés : des habitations, un temple peut-être ou bien un supermarché… Allez savoir ! Il faut beaucoup d'imagination pour la deviner, même vue du ciel, cette ville qui a été… Mais le vautour l'ignore complètement : il ne fait que passer et l'homme qui marche, seul dans le désert, ne présente aucun intérêt pour lui.



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Créé le 1 mars 2002

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