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Patricia Romanet
sélection mars 2005
de France, anime des ateliers d'écriture , elle se présente à vous
Je
prendrais volontiers le train. Un vieux, un très vieux train aux wagons
rongés par la déchirure de l'air durant la longue vie
de ses mystérieux voyages. Un train comme il n'en existe plus, fièrement
précédé par sa locomotive à vapeur chuintante,
essoufflée, asthmatique, mais vaillante.
La carcasse grisâtre fendrait l'air encore une fois pour moi, peut-être
la dernière avant de se retirer, digne et vaincue, au cimetière
de la ferraille. Je m'assiérais sur une banquette gémissante
en cuir fatigué par l'accumulation de tant de fessiers, d'histoires,
le poids des vies, quoi ; le fantôme des voyageurs d'antan. Le train,
le très vieux train s'ébranlerait sur les rails tremblotants.
Il ferait pour moi son dernier voyage.
Voyage des mots de passe quand passait le temps entre les parois grinçantes
et qu'il filait derrière les vitres maculées pour se perdre
là où se perd le regard.
Voyage des mots anonymes, des rancoeurs nées quelque part et ressassées
des heures durant entre deux gares, sur la ligne fuyante des rails
impassibles.
Voyage des mots d'espérance, ballots serrés sur les genoux
de l'exilé vers sa terre promise, vers sa terre de mort promise.
Voyage des mots murmurés à la dérobée entre deux
qui ne se connaissaient pas mais qui firent l'amour, furtivement, hâtivement,
dans la somnolence et la moiteur des passagers affalés.
Voyage des mots "tope-là", au détour des affaires improvisées,
l'un achète mais l'autre ne vend pas, mauvaise affaire, arnaque, alors
voyage des morts orduriers, vengeurs, menaçants, puis voyage des mots
réconciliants sous le sourire débonnaire d'un sage médiateur.
Voyage des mots de passe, des mots passants, passés et perdus, mais
non, je tendrais l'oreille et ils résonneraient, acides, amers, sucrés,
salés, chastes, emphatiques, émerveillés, épuisés,
mêlés. Avec eux viendraient le charivari multicolore et
informe de tous ces hommes et de toutes ces femmes, des gosses mal attifés
mais l'oeil vif, de leur sueur et des parfums bon marché. Moi,
assis au milieu de ces ombres errantes, j'écouterais leurs mots et,
prenant bien garde de ne pas les toucher, je passerais dans leurs histoires,
une dernière fois avant de leur rendre leur liberté.
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