Vos textes publiés ici après soumission au comité de poésie de francopolis.







 
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Vincent Boutal,  sélection Février 2009

il  se présente à vous.


Le Cours de l'Yser c'est une veine malade au travers de laquelle s'écoulent toutes sortes de pus.
Ancien quartier espagnol d'après-guerre, on peut encore y sentir la morue pourrissante et le vinho verde frelaté.
Sur les murs, traces de pisse et de vomi laissées chaque soir par des vieux d'un autre siècle.
Mais la maladie la plus marquée, celle qui frappe au premier regard, c'est la pauvreté ambiante, relayée par ses crasses et ses cris, ses couleurs éteintes.
Et puis il y a le 94, immeuble des années 1900, coincé entre le Zèbre et un garage à l'abandon. Le Zèbre c'est là que se retrouvent tous les soiffards du pâté d'immeubles.
C'est là que je vais échouer quand tout fout le camp.
Le 94! Ça sonne comme un numéro porte-bonheur et pourtant! Murs jaunis, entrée poisseuse des doigts des ouvriers, des putes et des crève-la-faim.
Le 94 c'est tout ce dont on ne veut pas pour chez soi, chaloupe à la dérive cherchant son continent.
Vous ouvrez la porte sur un couloir pénitentiaire, odeur de camphre et de foutre mélangés, gorge prise, envie de foutre le camp, pas continuer la visite.
Trois pas et sur la gauche une première porte, la plus pourrie de l'immeuble, comme un avertissement en grosse lettres graisseuses.
A n'importe quelle heure du jour et de la nuit on peut entendre le Régis qui s'y terre. Régis il a la cinquantaine, il sent la mort, devrait pas tarder d'ailleurs puisqu'il a chopé la tuberculose.
Toux aux relents parfois musicaux quand on prend le temps d'écouter. Faut dire, pour ceux qui y vivent, y'a pas vraiment le choix, Régis on peut pas l'oublier tellement il vous rappelle que vous aussi, un jour, ces murs vous emporteront. Régis c'est le requiem des miséreux de tout ordre, le Mozart vénéneux dardant fièrement du menton.
Trois pas de plus et sur la droite porte bariolée de couleurs étranges, comme un hymne à l'amour. C'est Franck le proxo qui y loge avec ses deux putes bon marché. Lui son truc c'est le synthétiseur, style années 80, nostalgie du temps où sa clientèle se comptait parmi les médecins et professions libérales du tout Bordeaux.
Encore quelques pas et c'est la cour de l'immeuble, puante des merdes des clébards de Franck, deux malinois fous, prêts à vous égorger à la moindre occasion.
Pour seule végétation un micocoulier griffé et déchiqueté par les deux molosses.
Y'a pas de soleil qui vient l'éclairer tellement la cour est étroite.
Au fond de la cour, Elysabeth, vieille religieuse espagnole, soeur austère pareille au micocoulier de la cour à la différence que ce sont les dents du temps et de l'abstinence qui y ont laissé leurs marques.
Face à la porte psychédélique du proxo nostalgique, il y a un escalier de pierre qui dessert l'étage. Deux marches et sur la gauche l'Auguste. Cinquante ans de marine marchande qui vous toisent à chacun de vos passages. " l'escalier! faudrait voir à le nettoyer!!!" S'il croit que j'ai que ça à foutre...et puis ça ne changera pas grand chose, sera toujours aussi pourri cet immeuble, mais je le fais quand même, vieille crainte respectueuse des gens de la mer.
A mi-chemin entre chez Auguste et chez moi, les chiottes communs, pas rutilants vu que tout ce beau monde y pisse et défèque toute la journée. Moi je préfère aller au Zèbre, les pochtrons ils vont dans la rue et puis comme ils bouffent liquide vont pas souvent faire le reste.
Le garage abandonné au n°96 sert à un petit vieux qui ramasse des cagettes au marché des Capucins. Il les entrepose là et parfois quelques patrons de troquet lui payent un coup à boire en échange de bois d'allumage. Max c'est l'ange déchu livré au supplice sur terre.. Il porte toute la misère du monde sur ses épaules et ses yeux c'est comme deux trous grands ouverts sur son passé, une porte vers sa mémoire..
Max pour le voir, il suffit d'entrer dans un de la dizaine de bistrots du Cours de l'Yser à partir de 6 heures le soir et d'y rester au moins deux heures, alors vous pourrez pas le louper, ou plutôt c'est lui qui vous loupera pas. Il viendra s'asseoir à votre table et vous racontera l'histoire de sa vie. Et vous resterez assis à boire ses paroles jusqu'à ce qu'il ai fini parce que vous voudriez une fin heureuse à son histoire, mais la fin pour Max elle vient pas; la vie s'accroche à lui comme une tique sur un chien.
Tout ce petit monde, c'est un peu comme une arche de Noé, un bateau ivre souquant ferme pour rester à flot.
Hamed, l'épicier face à ma fenêtre, il a pas su lui.
Sa femme avait la classe de ces vieilles statues bouffées par le vert-de-gris. On pouvait la voir tous les matins lever le rideau de fer sur les étals de légumes et le rayon vins.
Y'avait rien d'autre chez Hamed, de la verdure et du pinard, du rouge et du vert, c'était le marchand de couleurs, le magicien d'Oz des miséreux en tout genre.
D'ailleurs, devait pas assez gagner sa vie Hamed, sinon sa femme elle se serait pas barrée. Faut dire, y'avait plus de fric dû sur les ardoises que ce que pouvait valoir son commerce.
Sa femme elle avait dans les yeux cette petite lumière, pas encore éteinte, des étoiles qui vont pas tarder à exploser.
Un matin, c'est Hamed qui a ouvert le rideau. Je le voyais depuis ma fenêtre, je me suis dit qu'elle devait être malade la femme de l'épicier - j'ai jamais su son nom- ou qu'elle était partie faire une course. La journée est passée comme ça, Hamed attendant son cortège de menteurs.
Vers 5 heures de l'après-midi, j'ai vu Régis traverser la rue, appuyé sur sa canne. Il a hésité quelques minutes traversant et retraversant jusqu'à ce qu'Hamed l'interpelle et lui fasse signe de rentrer.
Il était comme ça Hamed, il savait faire plaisir et puis Régis il était foutu de se faire écraser à hésiter comme ça. Je savais qu'il avait pas encore touché sa pension et Hamed aussi le savais. D'ailleurs, il savait tout sur chacun de nous ce petit gars d'Alger.
Tout sur nous mais pas grand chose sur sa femme, sinon il nous aurait tous fait payer nos notes avant qu'elle prenne le vent.
Ou peut-être qu'il le savait mais qu'il osait pas nous demander.
Quand Régis a retraversé avec ses 5 litres de rouge, je me suis dit que moi aussi je devrais aller faire le plein avant qu'il ferme.
Ce soir là, ça m'a semblé étrange, il souriait pas Hamed, alors je lui ai dit que je lui payerais la note avant la fin de la semaine mais c'était pas ça qui clochait apparemment parce qu'il m'a répondu qu'il n'y avait pas urgence.
J'ai pris mes deux bouteilles de Vieux Papes, attendant l'éternel couplé "deux jeunes papes pour le monsieur" mais il a rien dit.
"Votre femme elle est pas là?!"
Il a rien répondu non plus, alors j'ai cru comprendre.
Le lendemain matin, j'ai ouvert ma fenêtre vers les dix heures, pas envie de voir le jour.
J'ai pas remarqué du premier coup, c'est seulement vers les 11 heures que je me suis aperçu que le rideau était resté fermé.
Hamed, c'était pas son habitude, 7/7 18/24 voilà comment il voyait sa boutique. Il disait toujours qu'un épicier il avait des responsabilités, qu'il était le liant de la sauce et que sans lui ce foutu quartier serait mort depuis longtemps.
Le lendemain matin, on a tous commencé à s'inquiéter, chacun pour ses raisons qui avant tout touchaient le ravitaillement; il avait raison Hamed, sans sa foutu boutique on était tous orphelins.
C'est vers 15 heures qu'on s'est décidé d'appeler les pompiers.
Quand ils ont forcé le rideau de fer, y'avait pas loin de la moitié du Cours de l'Yser assemblée.
Les pompiers l'ont trouvé dans la remise.
Pendant plusieurs jours je me suis dit que si j'avais payé mon ardoise il se serait peut-être pas foutu en l'air Hamed, qu'on l'avait tous assassiné, tous coupables ses enfants d'infortune...
Aujourd'hui c'est plus gris que d'habitude, faut que je bouge du quartier, besoin vital!
Je descend jusqu'aux capucins, poursuit vers Saint Michel, dans la rue odeur de pisse et de merde mélangées...
Plus qu'une solution, noyer ce vague à l'âme.
Dégagez! Dégagez!!!
Faut que je m'envole...
Tramway hurlant
Failli me faire écraser
Tant pis je me tape une bière
Un clebs renifle ma chaussure
S'il lève la pate, je lui fous mon pied dans la gueule
3, 4, 5... j'ai du boire 2 litres
Le clebs s'est barré lui
Il a de la chance
Du mal à me lever
Vessie pleine pourtant
Faut que j'y aille
Chiottes à la turque
Se sont torchés sur les carreaux ces cons
Envie de gerber
Faut que je sorte
Vite
Merde! J'ai pas payé mes bières
Et puis l'a l'oeil mauvais le patron
Un connard de légionnaire
Je lui laisse 20 euros et me casse en courant
Merci pour la monnaie
Coin de rue
Personne
Je dégueule tous les picons-bière
Y'en a encore dans le bide
Alors je pisse en poussant un soupir
Je ferme ma braguette
Je regarde par terre
la gerbe et la pisse se mélangent
Petite rivière malade qui s'en va rejoindre le caniveau
Je reviens à ma première impression de la journée:
Odeur de pisse et de merde
Je rentre chez moi....
Depuis qu'Hamed est plus là, les journées ne sont plus les mêmes.
Y'a de la musique dans la rue, tous ces enfants de garces du Foyer Leydet comme Les Coeurs de l'Armée Rouge, braillant et chialant, gamins sans tétine.
Ça me porte sur le crane, marcher, marcher encore, jusqu'à rompre, céder au béton et à la lumière voltaïque, devenir pierre, goudron, béton, et se prendre à rêver...
Il pleuvra sur ma ville
L'or fin qui balaie le sang séché
Les parfums et les crèmes pour dérider l'angle des yeux
Et soulever les paupières chauves
Il y aura
Le bruit sourd des pas
Que l'orage fait au plancher du monde
Puis l'éclair qui fait se taire les gorges pleines de viandes
Et enfin le brasier consumé
Où restera
Fumant
Le squelette de ma ville
Ce soir, pas envie de sortir, le rouge commence à faire son effet, et puis y'a le Régis qui m'inquiète, faudrait pas qu'il se prenne pour le mari de l'épicière lui-aussi. J'ai pas tellement envie d'avoir la moitié de la rue dans mon couloir.
J'ai acheté 4 pains de terre verte, elle a des reflets de vieux bronze. C'est aux Chartrons que l'on trouve la meilleure terre de Bordeaux, pas loin du Cours de la Martinique, ancienne artère pour entrepôts des produits des anciennes colonies africaines.
Royaume d'un fou
Le long d'allées osseuses
Se promènent des diables retroussant les babines
En veux-tu en voilà...
Tu l'as signé de ton sang souviens-toi c'était hier!
Avec un peu de glaise
Et sous tes doigts enivrés
Tu jurais comme cochon à qui voulait bien te prendre
Une gorgée pour la route tu disais
Et tu sifflais le litron
Éructant crachant te mouchant dans tes doigts
Tu faisais concurrence au tuberculeux du rez de chaussée
Frappe! Frappe! Frappe avec ta canne!
Je m'en fous ce soir j'ai un royaume
Ta plus ta place demi-poumon
Ce soir des litrons j'en descendrais plus que toi
Tu te roules une clope et bouffes un kilo de terre
Mais c'est normal ce soir c'est ton royaume
La sculpture prend forme
Tu ris comme un démon
Tu dis qu'il faut du corps
Que c'est comme pour le rouge
Faut du corps sinon qui en voudra...
Une gueule de bois mortelle me fauche au pied du lit. Je tombe sur la moquette ne sachant plus ou je suis. Il me faut bien un quart d'heure pour retrouver des repères spacio-temporels.
Je reste un long moment à baver sur les nids de puces, je me dis qu'au moins comme ça j'en crèverais un bon nombre; ça me fait rire mais je me force à penser à autre chose, je sens la bile au bord des lèvres
Il faut que je procède sans heurts, sinon je n'y survivrais pas. Je tourne lentement la tête...quelques secondes...c'est bien ma chambre! Soulagement! Je peux continuer à baver en paix, personne pour m'en faire le reproche.
J'essaie de regrouper les morceaux épars de ma mémoire, mais c'est encore trop tôt, la gerbe me reprend. Fermer les yeux, dormir, encore quelques heures. Une angoisse soudaine me prend, on va frapper à la porte, impossible de me relever de la moquette...
J'attends, la respiration coupée, mais rien ne vient perturber le silence salvateur. J'ose ouvrir un oeil, une boule de feu me traverse le crane avant que j'ai eu le temps de le refermer.
C'est sûr! Cette fois je vais en crever...je pense à me relever pour retrouver le lit, mais l'effort est insurmontable. Je pense à Hamed. Je sens une lourde larme essayer de rejoindre ma bave sur la moquette. Je plonge alors dans un semi-coma et me retrouve allongé le long d'un ruisseau ombragé, bête parmi les bêtes...

La terre s'est tue
Alors que se mit à résonner le bruit sourd des colères humaines
Dans la pierre
Dans le vent
Dans chaque particule vivante
L'attente gonflait les veines d'un sang noir et ferreux
Intime cohésion du langage
Quand la main ne sait plus où chercher ses mots
Et là
Sur la pierre froide
Allongée
Nue
La forêt a allongé son silence
Jusque dans les mousses
-empreinte figée de la bête s'en allant boire-
Elle a ouvert ses lèvres et dans le feuillage
A commencé une danse sans nom
Nue
Posée à même le froid des pierres
Dans le tremblement du feuillage éteint
S'élève une voix humide
-des yeux et des lèvres pour entendre-
Nue
Elle brise l'écho songeur
D'un mouvement de hanches
Et l'arbre et la branche et la feuille se souviennent de son nom
-la chair garde l'empreinte-
Je reste interdit à l'orée de ses songes
Ça fait trois jours que j'ai pas vu la lumière, trois longues journées à contempler ce que je suis devenu, un élément indispensable du Cours de l'Yser.. Ouvrière de la termitière! Je suis insecte -je commence d'ailleurs à en avoir l'odeur!-
Même pas le courage de m'habiller pour me ravitailler...je rigole en pensant à une réplique des Marx Brothers: La dope fait mieux passer les moments sans argent que l'argent ne fait passer les moments sans dope!!! Tout un programme...
Trois jours sans picoler, mais j'ai bien dû fumer 30 grammes d'herbe. D' insecte, me voilà plante, belle évolution de la nature humaine! Darwin doit se fendre la gueule en me regardant.
Assis sur mon canapé, cela doit bien faire 2ou 3 heures que je regarde le cortège incessant des puces entre les poils de mes jambes. Ça doit être une vraie épreuve pour elles. Une immersion totale en milieu hostile! Ça me fait penser que si je prenais un bain je pourrais peut-être limiter leur population à un nombre acceptable.
Le problème du bain c'est qu'après j'ai 1 bonne heure d'essorage dans l'escalier vu que la colonne d'évacuation des eaux usées n'est plus étanche. Je fais le choix de la douche. La première impression est assez bizarre, l'eau coule sur moi comme un vêtement polyamide, sensation désagréable qui me ramène au monde des vivants.
En descendant l'escalier je sens le regard inquisiteur d'Auguste dans mon dos. Je sors sans me retourner, pas la force de supporter ses critiques.
Une lumière étourdissante accompagne l'ouverture de la porte d'entrée. Je reste un moment hésitant sur le seuil, la main sur les yeux. C'est une des filles de Franck qui m'oblige à mettre un pied dans la rue pour lui laisser le passage. J'arrive à distinguer entre deux raies de lumière le maquillage passé de ses yeux. J'en conclu que ce doit être le matin. Tant mieux, envie de me balader sur les quais.
Eau
dans ton murmure
oser la différence
la main repliée
hygiaphone
je suis l'algue mouvante
En marchant je reprend peu à peu de l'assurance. Je traverse Saint Michel en passant par la place. Je sais que ce n'est pas une bonne idée, mais je lève quand même la tête pour regarder la cathédrale. Je me dis que je me sentirais peut-être un peu moins pauvre à l'intérieur, une façon bien à moi d'expier mes fautes. Mais au bout de quelques secondes la gerbe me reprend. Comme un rappel cinglant à mes débauches!
Je me détourne de la flèche divine et décide d'accélérer le pas, échapper en vitesse au Jugement.
Je sens mes dents sous ma langue. Drôle d'impression, comme si cette bouche ne m'appartenait pas.
Je m'arrête au bar-tabac pour acheter un paquet de clopes. La pompe à bière jette sur moi elle aussi son regard perçant. Le chrome brillant et la mousse qui pend encore du versoir sont un véritable supplice. Tant pis, je me rapproche du comptoir. Surtout pas s'asseoir, je sais pertinemment ou cela me conduirait.
La première bière m'aide à retrouver mon corps, je sais enfin que ces dents dans ma bouche sont bien les miennes. Je me sens soulagé.
La deuxième éradique instantanément mon envie de vomir. Un sentiment honteux essaie de faire surface dans ma tête mais je l'étouffe vite avec une troisième bière.
Quelques heures et litres de bière après, mes chaussures se retrouvent à nouveau en contact avec le bitume. Je tombe en arrêt devant un panneau d'information de la mairie. Un poème de 2 mètres sur 1 en lettres électroniques s'offre à la lecture du tout Bordeaux. C'est Lucy qui l'a écrit, petit bout de femme qui a plus de talent que je n'en aurais jamais.
La nuit commence à tomber sur la ville. Je me demande si elle tombe aussi vite sur la mer..
La rencontre avec le panneau d'informations me laisse un goût amer. Je descend le Cours Alsace-Lorraine jusqu'à la maison de la presse et décide d'acheter un gros marqueur noir indélébile. Je ressort avec toute une boîte, mes derniers francs y sont passés.
Et me voilà à errer dans les ruelles à la recherche d'un emplacement stratégique. Mon choix se porte tout d'abord sur un lourd rideau métallique mais après réflexion je me décide pour un grand panneau de contre- plaqué qui interdit l'entrée d'un squat.
Le marqueur fait de longs crissements sur le bois industriel.
Je recule de quelques pas pour admirer mon oeuvre. Combien le liront?! Un rapide calcul m'emmène à une centaine de personnes jour. Pas mal pour un début! Je rebrousse chemin sur une cinquantaine de mètres et revient de nouveau sur mes pas, quidam tout assuré à ma cause. Je passe devant le panneau de contre-plaqué et feint de ne pas l'apercevoir. Quelques mètres et... je me retourne enfin, premier lecteur d'une longue série.
Je sais les rires et les injures
Les coups les blessures
Poulpe refermé sur son cri
Je sais le sel des tombes
Le mouvement disgracieux
Les véroles et les bombes
S'acharnant de leur mieux
Je sais aussi la femme-matrice
Celle qui prolonge le vit
Et le vit cherchant le calice
Dans des mondes rongés d'éthers
Je sais la matière
Son souffle sur ma peau
Celle qui ne se digère pas
Et la tripe qui se tend pour mieux se soustraire
Je sais la lâcheté
Le vin et les drogues quand tout fout le camp
Le rire de la nuit quand elle passe sa tête par-dessus mon épaule
Je sais le tourment et la brocante
Magasin frauduleux où tout se vend
le plaisir l'ironie du vulgaire
Je sais cela et d'autres choses encore
Des qu'il ne faut pas dire de peur que l'on vous enferme
Vous salisse vous abîme
Je sais le vol de l'oiseau
Et l'aile bleutée du velours libertaire
Je sais donner
Ils savent prendre
De leurs mains grasses des serrures des barreaux
Je sais voler
Ils aiment pendre
Vendre et porter les habits de leurs morts

La semaine dernière j'ai eu la visite de deux inspecteurs des Capucins.
Sensation plutôt désagréable.
Il y aurait un type qui se prend pour un poète qui griffonne sur tous les murs de la ville.
Imaginez ma réaction...
Je leur ai expliqué que si ce type s'étalait ainsi en monochrome sur divers supports urbains c'est sûrement qu'il avait un certain talent.
Les deux cerbères de l'ordre républicain ne l'ont pas vu de cet oeil; deux minutes plus tard j'étais assis à l'arrière du fourgon, menotté et en proie à ce qu'ils ont appelé plus tard une crise névrotique.
Arrivés au poste, ils ont passé quelques coups de fil et 1 heure plus tard ils m'ont relâché. Je leur ai demandé s'ils avaient enfin apprécié mon oeuvre à sa juste valeur: ils ont explosé en un de ces rires qui m'a donné envie de leur foutre mon poing sur la gueule.
Quelques secondes et coups plus tard, j'étais copieusement esquinté, remenotté et en route pour le commissariat central, autrement dit Castéja.
De là et quelques heures plus tard, direction Charles Perrens pour une consultation en urgence.
C'est là qu'ils ont diagnostiqué une asociabilité particulièrement poussée ainsi qu'une certaine tendance à la névrose. J'ai signé une injonction de soins et suis rentré chez moi.
Et demain
Lune éventrée aux poteaux EDF
Pantelante montre molle
Mélangée aux oxydes de carbone
Du sein dégueulant un lait tourné
Fiévreux
Pareille à ce siècle que la rage étourdit


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-------------->   Texte 1  la terre s'est tue (2010)

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Créé le 1 mars 2002

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