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Philippe
Landreau
un
alphabet des limites...
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Je
t'écrirai
Un jour je t'écrirai je dirai des choses très simples
comme toujours avant l'hiver
La pluie qui lentement redessine la plaine ou la dénoue le silence des nuages l'étrange
je ne sais pas la langue des volutes les fumées le vent l'intense quelque chose d'intense dans la
lumière l'absence peut-être la densité de l'absence sa nuit
je t'écrirai avec la nuit sa clarté tamisée par le filtre des mots glissant sur les veines du
papier
velours ce que je veux dire de lisse quand tu n'est plus là
l'évidence que je ne dis pas Velin que je ne sais pas dire
la solitude ce qu'il faut commencer de solitude pour comprendre si fort la solitude la nommer seul
comme quoi la mer quelque chose d'étroit d'aussi vaste et noyé d'immense
ces mots si simples qu'il faudrait te dire juste avant l'hiver
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Le chant la demeure
Il y eut des hivers très blancs que la neige habitait recouvrant le Mont Maudit de strates très légères qui
finiraient par poser une épaisse chape de silences alentours j’ai erré sans vouloir me perdre dans la
multiplication de signes que je ne savais interpréter
quels oiseaux il y en eut tant portaient l’intensité turbulente des retours les autres celle des départs
tandis qu’une main aveugle dans le ciel dessinait des cartes muettes sourdes indéchiffrables que je
m’efforçais d'élucider sans en parler la langue mouvante insaisissable des nuages
Depuis toujours attendre ne m’est pas un pays mais une énigme qui maintenant me devient préhensible sans que
je n’en sois moins pressé le temps me fait violence et passant m’oblige à déchirer des pans entiers de cette
minutieuse compréhension l’étonnement de se pencher avec avidité sur l'intense clarté que procurent les
lueurs des choses les plus simples qui sont également
les plus compliquées à toucher dans cet affleur de tout, de soi, je ne garde pas les images les jours
figés il y eut tant et tant de départs au petit matin il a fallu laisser les amours les paysages les
escaliers les meubles comme en une crue soudaine et tout et ne rien oublier
Ce monde de beaucoup de violence on ne peut ni peser ni mesurer mais du fond de la détresse ce n’est pas
l’écriture ni la parole mais le chant le dernier refuge la demeure d’enfance.
Vous chanterez ni pour vous ni pour moi mais l’étrange voyage qui nous
accompagne jusqu’au seuil sortir entrer passer sans ne
rien dire fredonner la joie et la désespérance, tous deux, comme toujours sans hiers, sans lendemains.
Je parle de la graine et des mains qui l’enfoncent dans la glaise avec le vent et les nuits les armes
désarmantes naïves obstinées de la graine et de toutes les choses pliées, enfouies pour survivre, ne pas se
noyer dans l’intense abandon, la poussière des
sommeils, les lentes dévorant le peu d’esprit qu’il nous reste de désirs de soyances où victime
propitiatoire dans l’inutile enfin s’abandonner.
Il faut voir ailleurs là-bas de si près la mort, la résonance, ces lieux invisibles dans lesquels il n’y a
pas de cri que la rumeur versatile des musiques où se reflètent les bribes désarticulées des voix des
bandonéons des crécelles des limonaires qui déjà contenaient l’écorce tendre des chagrins le premier
jouet brisé de l’enfance, l’innocence, sans plus d'infini. J’ouvrirai des portes et des portes et
encore des portes des huis des serrures des fenêtres des crédences pour en sortir les ors factices, jeter
la vaisselle, les dictionnaires, les aiguilles, les stylos, les mots embaumés dans les démences immobiles,
j’ouvrirai les fenêtres et les fenêtres des fenêtres et le ciel et le bleu, des cataractes de lumière pour
en noyer le gris lentement mastiqué par l’ennui, des rangements, des placards, les greniers où toute une
vie morte se tient bien rangée pour personne que le temps qui ne reviendra plus et tout volera dans les
rires les éclats les pleurs les rêves dans les eaux
amniotiques dans lesquelles nous dormions sans questions depuis si longtemps.
J’allongerai la pluie pour que tu te souviennes des vestibules, des navires, des odeurs des couloirs, des
écoles, de l’eau gelée des fontaines et puis l’absence, des taies d’oreillers, des lavoirs, des
femmes crucifiées, gélifiées dans les couleurs absentes des draps, des photographies, parce que tout
fut sacrifié, le bonheur, les rideaux, ma mère qui chantait comme seuls savent chanter ceux qui ont
préservé un dernier rayon de la lumière finissante d’entre les ombres d’entre les nuits
(C&M)
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Depuis toujours
Lorsque je parle de la lampe, elle se tient là dans sa cuisson immobile, l’échéance des néons viendra
remodeler l’espace, élever le mystère sans le dénouer,
la clarté ne rend pas les choses plus claires, elle les met en lumière, mais la nuit cependant y transite,
parole où alluvion, il faudra bien choisir un versant de colline.
Il vente dans les feuilles une pluie verte qui remonte puis retombe et puis autre, devient, une chute
morcelée pour marcher sur les dalles étales de la marée, ce miroir te renvoie le mirage des arbres déjà
passées, dans la forêt de toujours.
J’écarte l’écume des feuillages, les embruns des
fougères, les vagues des branchages qui me retiennent jusqu’aux naufrages, je perds le souffle, la bouche
pleine d’air marin et de chimères, la forêt redevient ce qu’elle est, un navire.
J’embarque, l’ancre est déracinée, je prends l’eau, je
prends l’air, je prends la mer et le large, double le cap des tempêtes, l'ouragan qui culmine et brûle les
vaisseaux. Au-delà des brisants, passent les roues des océans, les siècles empilés avec leurs langues
étranges, des langues de noyés qui crient dans le silence.
Je suis là avec tout ce qui penche à la fenêtre, la
noire tentation des drapeaux, les runes du voyage, l’inachevé. J’avance, dès lors j’anticipe les
tensions, sous la terre vibrent des lignes de
fracture, une faille sans préméditation ni de temps ni de lieu.
Le ciel redevenu oblique, je scrute ses lézardes qui se tiennent dans le sillage, la faïence des mots, se
briseraient du langage, si je ne le retenais, les vitres traversées, les parois verticales qu’un
architecte fou tirant l’hypoténuse négligea de peupler
de signes respirables.
Je vous tends des cordes épaisses, la souplesse des lianes et des ponts au-dessus des gouffres
incompréhensibles. Je ne propose pas une trêve, mais le risque de saisir, avant l’effondrement, des biefs
de poussière engloutis par les flots.
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L'alphabet
des limites
Je vous écrirai des poèmes pyracanthes ciselés dans
des langues scalènes puisque le matin est tombé avant que la nuit ne vienne délimiter son empire à grands
remuements d’araires. Tout et dans ce bruit de clefs,
d’alènes, les ciseaux des cornes de brumes déchirant les sillages des silences, tout, les outils luisants
dans la démence des pénombres et la musique. La musique, je vous
interdis de parler des oiseaux, nous sommes dans les branches des mathématiques, au cœur
des équations et vous comptez sur vous-même pour aller au-delà d’une barrière de séracs qui vous habite. Vous
êtes le lieu et le chiffre.
Et moi je déshabille lentement les momies grinçantes du réel. Il n’y a plus de liquide amniotique dans la
boite de vitesse, les arbres viennent à ma rencontre, je freine et le disque est usé, il crie des chants
anciens pour arrêter les saisons. Mais la pluie est plus vaste de feuilles luisantes et de verglas alors
je me retourne et devant c’est derrière et je ne comprends plus rien. Il faudra que j’apprenne
l’alphabet des limites.
Voilà le poète il range ses pyramides dans le désordre absolu. Mon voisin le cordonnier boit l’eau de la
fontaine, ce simple geste de saisir mousse jusque dans ses yeux. Je ne sais rien alors j’imagine un monde
plus vaste et qui tiendrait debout, dans ce
dérèglement de fuite entre les doigts, du sens contenu
dans la fluidité des rivières.
Quelqu’un ouvre la porte, je demande comment ? puis je réponds, puisque je le sais « il n’y avait pas de
porte ». Donc je savais, à défaut de l’ouvrir, comment
construire l’obstacle. Si je peux forger la serrure,
je possède la clef. Je suis la maison même, son toit
de tuiles rouges et de feuilles d’ardoises pour écrire
l’épaisse rondeur, la flasque gibbosité, les graisses
et les lymphes du temps. Je savais, mais je n’avais
pas d’emprise. Ce que je déchire ne me rends pas plus fort, je remaille mes colères, je tisse, je m’enfonce
et je signe, je signe, j’annonce, j’annonce, j’annonce
des scarifications, des tatouages : Le serpent sur le
muscle s’insinue dans les veines jusqu’au champ sous
la lune rousse ou les mots sont brûlés pour que demain en ces écobuages revienne encore un peu questionner
les soleils.
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Ce
serait peut-être
Peut-être que comprendre serait s'approcher du mystère qui ne se peut
partager que dans les profondes lenteurs d'une eau qui porterait à
peine son poids d'humanité ou bien ce qu'il faudrait saisir d'une
fulgurance traversant tout un pan d'horizon à la vitesse de la
lumière.
Je veux bien m'asseoir avec vous compter les étoiles jusqu'à
l'infini pour décider du temps en terme de lueurs et non plus de
trous noirs, nous lancerions les graviers des galaxies comme les enfants
des billes vers l'avenir. Nous n'en deviendrons pas plus sages mais
plus émus.
Pourquoi cette impression de relire le même livre et de toujours moins
saisir la fuite des saisons ? Quelle parole pèse plus que le vent qui
l'emporte ? Qui le premier décida que derrière l'horizon se
tenait un autre continent et en le touchant, de le défaire et
l'accomplir ?
La réponse n'amenuise pas la question, elle en relance les
territoires, ses chaotiques imperfections parce qu'elle n'est pas
assez vaste, parce qu'elle est trop humaine. Le mystère agrandit le
mystère, comprendre détourne de la compréhension et rapproche de
l'humain.
Nous nous éloignons de nous-mêmes, à des vitesses sidérales chaque
jour, et chaque mot nous sépare de ce que nous étions. Viendra le
silence, ce sera un grand mélange de laines bleues dans les chutes ou un
désir éolien de remonter des eaux ses fragments aériens.
Ce serait peut-être aussi un silence épais à couper au couteau lorsque
quelqu'un perd le souffle parce qu'il ne peut pas suivre dans les
marches de l'escalier qui font pousser des évidences plus vite que son
pas.
Ce serait peut-être le silence trop grand d'un seul mot qui ne
tiendrait pas sur la page.
Ce serait peut-être un trop plein de silence.
peut-être un cri
ou une pierre
rien n'existe pas
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La dernière île avant l'hiver
"Look at the ants "
Cela commence sur un seuil et les villes sont très
loin au profond. C'est
toujours le même fanal qui invente la route et le même
poème qui tremble ses fumées immobiles.
" I will never go back "
Qu'est ce que l'on peut dire à celui qui a perdu en
lui son continent et tous les autres? Il ne fallait
pas craindre de retourner ces villes dans leur
sable, y recoller le dos cassé des lunes et dans la
tapisserie les fleurs violentes de la pluie. Chemins de berges et jardins
d'eau pour puiser le silence. Il faudra remonter à l'envers les mécanismes
des pendules, ce ne
sont que de simples rouages comme toi, après tout.
Tu es dans un autre pays que tu croyais lointain mais
tu as toujours le même caillou, en filigrane au creux
des mains. La citadelle est sur les hauteurs.
D'ici les hommes ne sont que des fourmis. Resteront
derrière La porte toutes les ombres lentement déshabillées par l'eau mouvante des vasques des
lampes.
Quelqu'un a écrit sur le mur:
" C'est toujours la même nuit "
En nous, nous descendrons cueillir cette encre qui
retient les soleils, avec ce peu de sel dilapidé, ces lueurs tamisées, ensablées
des phares sur nos paupières.
Très tôt dans le matin lorsque tout au bleu s'efforce,
quelque chose est compté que ravivent les mots, quelque chose est pesé,
dans les balances du vide.
(Angarie)
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