un être obscur – un pilote
noir nous abandonne et nous accompagne toujours – même dans les noyaux
du blanc • une obscurité fine comme l’ombre d’un léviathan monstrueux
dont nous n’arrivons pas à sortir – mais que nous écartons seulement de
nous progressivement, ainsi qu’une circonférence brumeuse •
l’océan crie du sang blanc
et je réalise brusquement que le mur de brouillard au-dessus de l’océan est
toujours l’océan – sa pensée profonde et mystérieuse qui nous entoure telle
une intention en suspension – signe ou guide • les mêmes spasmes
lumineux traversent l’organisme aquatique et les caillots vitreux de l’air
– pleins de tant de fantômes blancs – comme si nous-mêmes en fantasmant
nous nous embrumions dans le plasma ectoplasmique qui nous entoure •
mais plus étrange encore – le spasme de lumière se figeant tel un ange mort –
ou un cœur de lueur qui cesse subitement ses battements – une neige-cendre
s’écoule du ciel en passant à travers nous comme par un tamis d’air •
oui, en nous polluant le cerveau et le corps entier avec les résidus de
quelque combustion abyssale • la neigée continue en des secondes
immobiles jusqu’à ce qu’elle efface avec du blanc nos silhouettes sur les
eaux • l’horreur du blanc des autochtones des ténèbres – dents rouges
– dents noires – dents blanches • des signes inscrits – les veines de
l’océan • ou un velours au triple fil de solitude étanche •
à nouveau la sensation
étrange de poursuite cryptée • le pilote obscur qui nous guide en nous
pourchassant • parmi les glissements de fuite des limites
élastiques • l’eau marine se couvre de densités oniriques – le
brouillard doublé de sommeil se faufile hors de nous • les échos me
caressent – le cerveau est le parfum le plus enivrant des fleurs – ou leur
super-corolle étrange • nous ne pouvons nous
réveiller du cauchemar qu’en un cauchemar encore plus riche en pétales –
marches-pétales •
la lévitation ainsi que
l’invisibilité sont de la nature de la nuit • la bête-fauve de neige
labyrinthique dont le cadavre nous avait accueillis telle une prédiction
sur l’eau – nous apparaît à nouveau, portée par les veines de l’organisme
océanique • morte elle nous était apparue alors – mais nous comprenons
maintenant que la mort, c’est sa sémiotique – son amniotique vie • la
créature semble nous regarder avec le blanc cadavérique de sa fourrure
soyeuse – avec l’écarlate coralien de ses croques et de ses griffes – et
même, c’est à l’instant que je le vois, avec ses petits yeux rouges – en
nous fascinant de submersion •
avec nos veines de plus en
plus pleines de sommeil nous nous inclinons peu à peu vers
nous-mêmes • peints tels des images de taciturne et apathie •
nous semblons entrer en glissant dans la densité destinale du rêve – avec
sa veille maligne • nous nous endormons dans la neigée des
métamorphoses – souvenir lointain d’un autre éveil – et le blanc inonde notre
texture – et nous nous taisons dans le blanc en nous effrangeant
embrumés • et nous ouvrons les yeux sur le trouble d’un océan couvert
de créatures à la fourrure blanche et soyeuse – comme si la mort elle-même
se présentait à nous dans une chlamyde, en souriant somptueuse – et
nous pénétrait les yeux en même temps que l’océan sur lequel nous flottons
– revêtus de notre effilure de signes •
nous nous élevons toujours
vers une éclipse qui fait grandir en nous sa migraine d’absence • et
nous tombons en amas de cendres blanches qui s’écoulent d’un incendie
invisible du ciel • les lèvres d’une cataracte muette nous absorbent
et le sud abyssal nous accueille avec ses infinies nébuleuses – aussi pâles
que les hallucinations du nacre •
si l’orgasme était une
substance ou du moins un fantasme visible tel le mirage ectoplasmique d’un
médium en transe – à même de nous caresser le cerveau avec ses velours
troubles – il ressemblerait pour sûr à ces orgies d’écume infinie dont
l’océan semble neiger à l’envers du ciel qui le lèche avec les rouleaux
d’un écroulement sans fin • le grondement de notre éveil muet •
ou peut-être avec la vague blanche du sommeil qui annihile dans une veille
relative l’extérieur et rend l’intérieur méconnaissable • banquise
caressant de néant sa fonte instantanée • anéantissement d’un rideau
de géants •
nous passons par une
énorme clepsydre ouverte entre le ciel et la terre • le pilote noir
plane au-dedans de nous pareil à un passé enduit d’obscur • le fantôme
de quelques îles noires ou blanches – des abysses blancs ou des abysses
noirs – albedo et nigredo voguent
simultanément dans la voie de notre traversée – une trajectoire scintillant
d’obstacles • huit ou neuf ou douze – les nombres fondent hyalins dans
mon regard – comme l’un et le même incertain indiscernablement
identique •
des guerriers sombres
dansent autour d’une bête-fauve gigantesque – entrent et sortent – oui, en
dansant ils traversent une tente qui n’est en fait qu’eux-mêmes • ils
passent à travers son corps accueillant et enfoncent leurs dents noires
dans sa chair nocturne tels des guépards qui s’abreuveraient uniquement de
la nuit •
le délire du sommeil isole
mon cerveau et dans l’obscurité il brille tel un phare de veille – délivré
de la paupière rhinocéreuse du cortex • la neigée noire des dés inonde
mes pas – et il me semble avancer à travers une aliénation de gageures qui
ne me regardent pas et pourtant nouent mon ombre •

Dany-Madlen Zărnescu,
Dialog
/ Dialogue, 2008
***
le pilote noir est le
fauve – la tiare – et le roi – paupière des guerriers • au-delà de lui
le néant tel un œil d’une brillance insupportable – un œil cuirassé
d’aveuglement – me versant par anéantissement sa lave de cristal •
les îles nous traversent à
l’instar d’un délire d’insomnie – une insomnie qui nous écorche de toutes
les apparences en nous rejetant toujours – oui, en nous avortant –
autrement éveillés – sur la rive étrangère du naufrage • nous
traversons les îles ainsi qu’un caillot de neige – notre barque fend cette
substance poreuse que nous respirons – et mangeons – et buvons • comme
si nous traversions d’immenses îles de manne – à travers elles,
incontinente, une voix nous parle et une écriture incompréhensible vomit sa
procession le long des tunnels délirants des yeux •
toi, privilège de la
révélation qui nous éteins avec ta fureur incomprise • qui craches sur
notre ébahissement ta folie • qui projettes sur nous telles des
malédictions la vengeance de tes révélations inextinguibles • tu veux éteindre
en nous la quête avec des souffles déments de vérité • et nous errons
perdus parmi les hurlements nuageux de ta voix de solitude • ta neigée
sèche cache en nous les méandres du labyrinthe • et nous sommes deux –
nous sommes trois – huit – neuf – ou dix-neuf – selon la manière dont nous
multiplient les vibrations de la terreur polaire avec laquelle tu nous
respires •
épuisés, nous nous
écroulons dans l’abîme que les lettres du naufrage appellent sagesse •
et d’autres îles de neige sèche se coagulent sous notre regard – des îles
que nous traversons à l’ouïe aveuglée • épilés des migraines et de
l’âge • nous marchons en éparpillant nos miroirs et nos ombres et nous
planons dans notre respiration tétanisée • un éclat insupportable paralyse
du regard nos poumons pensants • et le temps s’écoule de nos pores
ainsi qu’une invraisemblable sueur de secondes •
des îles de signes – des
bio-signes structurés en bio-mythes – nous accueillent toujours sur la voie
de notre compréhension et nous abandonnent dans nos voiles – nus comme des araignées de sagesse • les jours passent à
côté de nous – à travers nous – étranges paquebots d’indifférence – envoyés
vers le sud – et avec des lointains mystérieux nous traversons le désert
dont nous sommes assoifés – abusés • et les îles sont désert – et les îles sont
brouillard – neigée elles sont et cataracte blanche de cendres • et
les îles sont en nous et dans notre délire – et dans le silence qui nous
entoure comme la perdition d’un aigle incendié •
et nous secouons la neigée
de la peur par l’entremise du pilote noir dont avec terreur réticente nous
nous éloignons • nous errons parmi les îles – par des isolements
d’amnésie et d’anesthésie – par des seuils de nous-mêmes en fait • et
nous nous rattrapons enfin avec tout ce que nous avons perdu • et huit
– et neuf – et douze roulent à côté de nous – roulent à côté de moi – et
les îles telles des radeaux d’air – ou un aveuglement de neigée – oui, la
neigée dense, patiente du labyrinthe •
le pilote noir n’avait
jamais été plus près en jouant au-dessus de moi de ses ailes ténébreuses de
lettres • funeste était le livide de l’océan – signalant avec ses
éclairs froids et cérébraux la proximité d’une ressemblance
dissemblable •
une étincelle gigantesque
unissait l’abîme du mésonge avec le cerveau des
silences célestes – d’où je glissais moi-même dans l’enlacement de neigées
inversées • les eaux déroulaient au-delà du commencement et de la fin
leur souveraineté crépusculaire • phare étranger, je ramenais mon
lointain caché près des lointains extra-visibles • sous des tombées
oubliées, le profond inondé des averses du blanc – vissant en moi sa neige
nébuleuse de lune pulvérisée • les secondes immenses pareilles à des
doigts titanesques montraient sans cesse les lèvres obscures par lesquelles
l’espace vomissait les cataractes de l’altérité paradoxale de temps
arrêté •

Dany-Madlen Zărnescu,
Catrinţă /
Cotte
(exposition
et lancement d’album, Bacău, Roumanie, octobre 2015)
***
l’océan en flammes avait
appelé de ses abysses uraniens une stalactite de cendre • des bras de
nébuleuses embrassaient mes yeux – des coupes éclatées autour des sphères
célestes • saignaient en elles tous les chemins accumulés par les
millénaires de métempsychoses • et comme un miroir brisé par des
fenêtres labyrinthiques – les cataractes du blanc
montraient simultanément – telle une calvitie transcendantale – leurs
origines béantes – et les migraines de quelques fissures sinueuses à
travers lesquelles se laissaient percevoir les lumières de l’imaginaire et
les figures troubles du chaos • hécatonchires
aux corps de tourbillons et aux visages de vent syllabique – cueillant dans
les méandres des mains les avens tels des fruits • et ruinant en des
élévations fantastiques les architectures insensées des souffles – treillis
de caillots pré-temporels, hideux de fascinante beauté • mésonges aux tours babyloniennes pareilles à des
lettres suintant l’étrange – aux pyramides hypnotisant d’hybris les regards
perplexes des dieux – sculptant avec des orgasmes d’horreur leur
insomniaque sérénité • typhons cycloniques sécrétant des reptiles de
ténèbres parmi les hémorroïdes de la rébellion – barbouillés de pestilences
scatologiques, de tartare et de dragons spermatiques • égorgeant de terreur
les dieux comme des ailes déconstruites par les envols de la douleur •
ouranos ébranlant ses cercles dans l’océan comme
un rugissement primordial de testicules incandescents • creusant dans
la laitance du brouillard les obsessions mono-schizophrènes de
l’abîme… •
bizarre, bien que
l’architecture de ces cités d’horreur, de mirage et de brume flotte – elle
semble néantmoins engloutie et le labyrinthe
cherche uniquement des clefs pour ses portails oniriques • horloges
aux heures des délires paralysés • le pilote noir des cadrans fous
fige à travers la neigée des temps ses menaces • et les nuées des
archipels d’obscurité déclenchent une invasion de signes – réécrivant en
sphinx les programmes abyssaux des avens •
sorti du moi (mais non
encore du soi) – je scintille dans les vides du miroir – cherchant un
rivage – socle pour une aphrodite noire –
coagulée d’une autre écume • mes yeux – les nôtres – de qui –
s’avancent en barque ainsi qu’un graal plein du sang des regards • et
le miroir vide dont les images glissent dans les ténèbres projette par
volées les regards du blanc – en accueillant avec limite les noyades
incertaines de l’ombre • la brume telle une fourrure blanche, soyeuse
de livide – ou un plumage plus cadavérique que les énigmes ectoplasmiques du
blême • d’immenses textes muets avancent leurs vagues d’occlusion –
sombres écumes de signes du tréfonds • et les cris des trêves blanches
cueillent dans la barque pétrifiée les âmes intimidées à mort de la
quête •
comme crie le blanc – sans
même un regard vers les pupilles terrorisées des clefs • et comme il
soulève en vastes tas les gerbes gigantesques de ses cils – meules ou chaos
indéfini de lignes – inondant notre image photographique d’insolite et
d’inverse • et les caillots de nombre de la bête nous poursuivent
jusqu’au seuil de l’annihilation • comme si le râle ultime de l’agonie
de tous les ordinateurs fouettait nos apparences mécaniques – l’intellect
des grincements succombant sous l’avalanche des oranges aléatoires •
et soudain la cendre, l’ombre
des incendies, s’est éteinte telle une gaze d’étincelles • et dans la
cataracte des portes blanches ont pénétré, en écume, les pupilles des
clefs • les rideaux des neigées se renversèrent en des embrassades
effrénées de papillons abyssaux – torrent bestial de corolles • et en
orgues orgasmiques s’affaissèrent les vagins tels des geysers de fulgurance
infinie • alors que la quête toute entière se déversait sur les pentes
de la découverte – colère d’électricité blanche blanchissant sa neige dans
l’héroïne aveuglante de la stupeur • et les éclairs en pente des
sentiers se ruinaient en des égarements intensifiés par l’attente – et dans
la soif spasmodique des labyrinthes éteints et rallumés par le songe •
et toutes les artésiennes des firmes lumineuses de toutes les mégapoles
réunies en une manie unique vomissaient leur lave évanescente – dévoilant
en des fissures gigantesques – aux gangrènes d’ombre – leurs déluges de
blanc – flots blanchis du blanc blanchissant • déalbation sortant
toujours de soi et quittant telle une coquille sombre sa lumière –
naissance obscurcie par de nouvelles connaissances – brillance humiliant
par des éternités toujours plus fraîches l’ouvert qui se referme derrière
elle •
un blanc tellement néant
nous envahit avec l’approche du soi – et des nourrissons naissent d’autres
nourrissons dans la mort soyeuse de l’ombre • car à peine né le
nourrisson est la coquille d’une naissance infinie qui se renverse dans le
vide • et l’œil engendre non un regard aveugle mais un autre œil toujours
plus blanc – et le voile glisse dans le visage et le visage, dans le voile
– telles des narines asphyxiées par un cri de déalbation •
ainsi le blanc pur n’est
jamais celui-là – le noir non plus – mais seulement leur tendance
ambiguë • et le bloc pur des sommets – infinis de neige insondable –
nous fait communier aux rayons seulement, non au soleil caché •
l’invisible est plus éclatant lorsqu’il se dévoile en nous-mêmes et non en
un autre – comme si, en nous traversant, nous nous dépouillions des images
des miroirs – insaisissablement l’original enveloppant la transcendance
catoptrique •
… et les vagues de la
brume – les avalanches hallucinantes de la vapeur et l’océan de veines
étrangères – labyrinthe organique de l’illusion – se retirèrent d’un coup
dans la réceptivité brutale de la transparence – et l’exile du mirage
abandonna mon nombre dans l’abîme • et seul je me mesurai à
l’obscurité – et seul je me mesurai à la lumière • et seul je vins à ma rencontre enveloppé en dense – et en blanc – et en
méconnaissable •
et seule surgit à ma
rencontre la Mère dévêtue de ses mirages – brillant d’une vérité qui me
brûlait et me nourrissait de ses seins • et me noyant dans les geysers
de révélation du lait en lequel je me perdais en me trouvant – me
retrouvant • seul je me suis oublié dans une décomposition infinie –
en m’endormant d’endormissement – et encore en me roulant de sommeil en
sommeil •
et on aurait dit que je
rêvais encore et encore était mon rêve – et je me réveillais inondé
de la soif enivrante du désir – m’écroulant dans le papillon abyssal – si
riche en mésonges – du vagin éternel – et
pourtant avachi de naufrage sur les rives désolées – de spasmodique verre
noir – de la stérilité • et le visage hypothétique de la Mère
m’envahit avec des spasmes infinis – orgasme orgiastique comme d’un aionion de coïts conglomérés • et s’éteignit en
congères de hurlement blanc de silence • car la Mère était le dernier
masque du Père – et le Père, le masque de la solitude qui me reconnaissait
– entre tant de méconnaissances •
et c’était moi, mon moi de
non, le profond – m’accueillant éternellement et m’attendant en des appels
de rejets •
je me retrouvais en
m’aliénant et j’étais en toutes ces infinies sentes vomies et dans le néant
qui les vomissait • et tant de rayons lunatiques – des ailes de
chevelures défaites – blanchissant – blanchissant • et tant de brumes
désespérées de solitude me pilotant à l’obscur vers le Soi de
Non-Soi •
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