Seuil
C’est franchir seuil
Franchir,
S’affranchir
… ombre par-delà le perron,
Ombre
avancer dans la trouée grisâtre, dans la
lueur du seuil,
(jusqu’à l’ajour insoupçonné du sourire)
visite que rien n’autorise mais …
humer l’odeur du lieu, sa poussière qui éveille,
halo du seuil dans l’entrouvert de la porte
loin déjà de la rue, des arbres, de l’affairement :
fraîcheur des dalles, rouge brique, et lavées,
signet du seuil, ou saignée dans l’échancrure de la page
du recueil
épinglant le poème
visité
la densité des mots comme ce qui accueille avec la main et le
regard
effleurement, affleurement,
invite
ce qui sombre, inconnu, ce qui palpite,
regain d’attention, pouls de l’attente,
ce qui frémit, peau, en alerte, là, soudain,
un écart, la
réception de mots dès le seuil,
(dans le peu de lumière accessible)
neige des pages où l’on s’enfonce
dans la déviance de l’oubli
dans l’abandon, le laisser aller, l’indécence
du pas, du geste, du regard visitant recueillant
l’intemporel bonheur
du souffle
de l’intime,
du penser.
Une
échappée
Peu d’oiseaux dans les arbres
encore verts,
peu d’essors.
Somnolence du parc
apprivoisant septembre.
Lire sur un banc
lever les yeux au ciel
picorer des grains de lumière
se lever et
lentement marcher dans le parc.
Parler à deux jeunes filles
déboussolées, cabossées, plus
fragiles
qu’oiseaux sur la branche
Et dans le car
au retour
entendre une chanson d’amour
La fredonner
tout bas et pour moi seule
et me faisant oiseau
par audace et volonté
me voilà,
troublant le paysage
et revenant à tire d’ailes
dans le creux de mon arbre
et la nuit de mon nid,
mais, je me sens soudain prête
à fuir avec le vent, loin, si loin
pour un périple vers l’azur.
Après
une visite chez l’ophtalmo
De l’œil surgissent lumière et mouches
un vide, une pente
larmes et pupilles dilatées
quelque obscure fantasmagorie
un remous dans le crâne
effleurement migraineux
une inquiétude, un poids, la nausée.
Du brouillard, avant-goût de néant,
malaise comme début d’un ailleurs
plus vaste, puits d’ombre
suspens…
Serait-ce
le petit doigt qui frôlerait
le seuil où te rejoindre ?
Libre
un peu
J’ai marché
dans les lumières de Paris
au milieu des néons de couleurs
et par la pluie
giclant sur les pavés,
les vitres, les clignotants
et les enseignes.
J’avançais à l’aveugle
dans ces feux et dans l’agitation
dans la trépidation le luxe et la misère
comme quelqu’un sans âge et sans gîte.
Les lumières fusaient et me blessaient les yeux
des parfums indistincts se mêlaient doucement
mais j’allais dans Paris
j’allais dans Paris
qui larmoyait.
Je dérivais
libre un peu
feuille emportée, retournée
libre un peu
dans cet après-midi toxique
au chant chagrin
en mon cœur en sourdine
des paroles naissaient
dans Paris dénudé par les larmes
et dénué de sens
dans Paris de toujours
à même ses entrailles
et la musique venait comme un délire ardent
soulever Notre-Dame
et auréoler d’or
les toits
et les passants.
***
Ton corps est une vague
déferlant
dans ma vie.
Il est fait d’une nuit qui se fane
et s’enfuit.
Silhouette poreuse en haillons de nuage
n’ayant ni ton regard,
ni ta voix, ni ton souffle
et cependant c’est toi qui frôles mon épaule,
c’est toi, là-bas près de cet arbre
ou quand, sans crier gare,
tu foules de tes pieds absents,
les orties du chemin qui ne te piquent plus.
***
De loin le
vide.
Une dentelle, un fil, un cil
Une nervure, un trait, une bulle
ce reflet de toi,
cette ombre
l’écho d’un écho déjà sourd
lointain,
estompe, étamine de soie
et cependant manque.
En continu (mais en sourdine) la vibration de ton
regard
le trouble de ta voix
le vide
de ce qui à jamais
s’est perdu.
Détisser
le voyage
De retour
tout chuchote et reprend sa place
un tri familier se fait
je touche chaque objet,
je défais ma valise
je cerne la trace de tristesse sur le parquet,
sur les miroirs.
J’entends à nouveau craquer le bois quand je
marche.
Les livres m’appellent en secret.
Ils sont chant de sirènes et danse séductrice à
même les étagères.
La parenthèse se referme.
Je vais à la ligne,
détissant le voyage.
Restera-t-il un soupçon de montagne ici
même ?
Un écho triste de brouillard ou de pluie ?
Un lent oubli opère déjà !
De retour
je retrouve l’ordinateur et les mails,
mon bureau, ma pagaille,
le papier de l’imprimante.
C’est lourd de revenir, mais c’est calme aussi et
doux, tout mélangé
d’appréhension
et d’espoir.
De retour
je marche dans la ville,
je fais mon petit tour tranquille
rien n’a semblé bouger,
sauf l’hiver qui se fiance à l’automne.
Je m’arrime à la solitude
retrouvée.
***
D’un bon pas dans la douceur de l’air
d’un bon pas au milieu des collines
dans la brume roussâtre et bleutée
du jour
je marchais
naissant
dans l’élan de l’oubli
est-il d’autres naissances ?
J’allais comme si …
sans aura et sans ombre
rythme de vie dans le sang et les jambes
l’air dorait mes pensées indistinctes
l’air était doux et caressait mes joues
J’allais ainsi, trottinant,
insouciante (soudain sans deuil, sans regret, sans
chagrin)
oui, je marchais, atteinte d’innocence
ouverte à l’air, aux rumeurs, aux nuages
ô conque et vague, venaient à moi,
bras ouverts,
la beauté,
l’Existence.
***
Un rien échappa
dans l’air diaphane
peut-être un vol d’oiseau
peut-être une note dans l’interstice du jour
flocon de neige accroché à l’arbre.
Un rien, une ombre, une esquisse
qui fit battre le cœur,
soudain.
Un frisson de vie,
vibrant, net, sans pareil.
Un rien-reflet,
joueur,
un écho sourd
soupir du mystère
étreignant tout à coup,
sans crier gare.
Ce rien-terre-et-ciel, ce rien
cernant la silhouette de l’ange
ou du danseur
un instant, ce je-ne-sais-quoi
qui fut là, dans le sang, dans les os
juste au passage d’un nuage
cri-silence du rien qui ravage
ce geste-rien ricoche et pour longtemps
sur la peau, dans la chair,
effaçant comme un rien
l’éphémère.
Ce
n’était plus un début ni une fin
Ce n’était rien peut-être,
une déchirure dans le temps,
un hasard qui surfile la vie,
des pas dans d’obscures ruelles,
des traces de buées sur des vitres opaques,
un résidu d’extase niché dans la pensée,
un trouble qui naît de l’humus des bois,
d’une musique, sans début ni fin, comme le ciel
sans virgule,
comme le ciel, nécessaire et absurde
ou le sang dans les veines, sans début ni fin,
le sang vermeil qui bat aux tempes, et circule en
silence,
dans la nuit d’excellence.
jusqu’à la déchirure du temps
qui tout à coup le rend visible,
lui qui goutte sur l’horizon crépusculaire,
atonal.
Extraits du recueil Des
nuances et des jours,
éditions Unicité,
2020 (163 p., 15 €)
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