L’arbre une fois encore me
rappelle ma mémoire. Il se mêle à quelques langues mortes dans l’infini. Quelques
songes comme des guêpes tournent autour des pierres du vent. Mon sang et ma
salive s’entrelacent à l’argile molle. Il faut avancer dans le grinçant
chemin et faire le détour vers plus de certitudes. Il faut un reflet pour
que les métaphores de glaise se réalisent.
*
Je porte avec moi sur le
chemin une forêt de mémoire. C’est toute une caravane qui traverse les
nouvelles aubes, ce sont des sacs de grains qui sèment les talus et les
petites lumières qui s’allument contre le vent. C’est aussi ce morceau de
pierre blanche qui me permet d’écrire aux carrefours. Et c’est ainsi que
tous ensemble on ira plus loin encore.
*
Mon livre de poèmes est
parti dans les buissons. Il se cache sous les épines et agite les feuilles
sèches. Il m’a laissé quelques virgules et des points d’interrogation. Il
cherche d’autres lecteurs parmi les insectes et les oiseaux. Il a eu, je
crois, peur de moi car grâce à lui j’imaginais d’autres poèmes et il ne
savait pas où j’aurais pu le mener. Je le cherche pourtant avec obstination.
*

L’été est là qui rôde la
bouche en flamme entre les feuilles qui ne bougent pas et les mousses qui
sèchent. Le silence est comme une pierre grise se glissant dans le cœur des
infidèles. On se demande maintenant s’il est utile de faire un pas. Là où
va le regard l’ombre s’en va et le grondement du prochain orage se fait
entendre. L’été est là qui rôde la bouche en flamme.
*
On parle des feuilles
humides qui sortent de la nuit et se sèchent comme des oisillons dès le
premier soleil. Elles sont porteuses de mémoire et de tous les élans
inscrits dans la terre et le vent. Elles savent des souffles cachés et les
grandes élégies de la beauté. Elles n’oublient rien des profondeurs opaques
et des routes vertes où il faut cheminer jusqu’ici.
*
Quelle est cette nuit inconnue
qui rôde autour des pins, ferme les becs des oiseaux et donne à la pluie
des danses de fées sauvages ? On se laisse prendre innocemment dans ce
linceul ce tissage sans écho et dans ces vignes larvaires qui s’éloignent
dans les collines. Seule une route bordée de fleurs blanches passe paisible
en attendant l’aube nouvelle et les quatre vents du temps.
*

L’arbre mort est-il bien
mort ? Il parle pourtant il dresse dans le ciel des bras blancs et ouvre
sur son ventre de grandes bouches qui ne cessent de répéter l’histoire de
ce coin de monde fait de pierre de murets de ravines de ruines incertaines
et de tout un peuple d’orchidées qui se poursuivent et se culbutent sans
rien entendre. L’arbre le grand sage ne s’apitoie pas pour si peu. Il
répète toujours les mêmes mots.
*
Trois corbeaux picorent
dans le champ givré. Ils se maudissent de n’être pas écureuils et de
n’avoir pas un gîte douillet. Ils boitillent avec leur jabot gorgé de
glace. Il n’y a plus grand-chose sur la terre si ce n’est les rêveries et
les fantasmes. Une robe blanche est accrochée aux buissons et l’on peut
tout imaginer.
*
Sombre très sombre est le
feuillage près du ruisseau. Nul ne s’y aventure sans recevoir le baiser des
feuilles mouillées souvenirs d’oiseaux morts. L’eau au plus secret coule
comme du sang noir sur des pierres veloutées de mousse ayant depuis
longtemps abandonné l’idée d’aller à l’océan. Tout est pluie et larmes.
Cela suffit.
*

De l’orée tôt ou tard sortiront
les ombres de la désespérance. Il faudra bien faire attention. Cette fois
une silhouette en robe de paille et au corsage noir fait signe qu’elle
m’attend accolée à un tronc. Elle bouge à peine car elle observe. Elle
attend et hésite léchant sur ses lèvres un ancien goût de résine. Je lui
fais signe de partir mais elle ne bouge pas. On ne partira pas ensemble.
*
La vitre s’est brouillée
et de petits regards attentifs et mouillés viennent lire l’instant dans mes
pupilles. J’essaie d’y mettre des ailes des mains de paix des syllabes de
miel mais ce n’est pas toute la vérité. La frontière demeure froide et
infranchissable et je sais que c’est leur propre destinée que les gouttes
interrogent ainsi.
*
L’arbre le bel arbre glorieux
d’être seul a finalement quitté ce rivage. Il a seulement laissé intacte sa
silhouette à l’instant du choix. Il a jadis prononcé des mots de rencontre
forgeant ainsi des parenthèses au pays des retrouvailles. Il a aussi
enseigné à tous les reliefs cristallins pour poursuivre comme la brume son
éternel voyage.
*
Quelques lumières
mouillées palpitent sur le chemin comme des flocons comme des étincelles.
Peut-être un feu follet tarde-t-il à passer. Les arbres pensent que l’hiver
ne se terminera jamais. L’oiseau aussi. Seul l’homme a encore dans son
corps des mots de printemps.
*
Je sais où va cette ligne
de labour entre le ciel et la pluie dans le silence de la brume. Elle se
glisse dans la faille infime du temps, dans le satiné des souvenirs et dans
toutes les rencontres au milieu des étoiles. Je n’ai plus qu’à suivre la
marque des chevreuils entre les mottes humides. Je ne suis pas perdu. Je
suis en pays ami.
*
Je n’ai pas encore
traversé le pont. Je sais que l’on m’attend de l’autre côté sur la rive. Je
sais tout déjà des regards et des sourires, de la couleur des asphodèles.
De petites mains fourmillent en moi.
J’écoute ce silence qui
vient des étoiles et qui a la connivence des sources. Je n’ai pas encore
traversé tout le temps. Je suis au milieu du pont.
*
Est-ce un jardin d’herbes
folles un bouquet d’aromates une mosaïque ancienne qui colore la
terre ? Le cristal réinvente les mousses comme des îles dans les
mémoires. Est-ce l’étoile aux filets d’or qui ouvre les yeux fermés ?
Non c’est la page blanche où s’écrit la poésie.
*

Une vague de plus sur le
galet de ma bouche
Entre mes doigts de rose
Et toutes les autres
beautés du colibri
C’est ainsi que ce matin
bercé par la brume et le
silence
j’envisage l’éternité
©Michel Cosem
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