VERRIERE
La lumière est métallique
un quai trop long
tremble et larmoie
la verrière est frappée par
des résonnances d'entrechocs.
Les bruits sont martelés cuivrés.
Les piliers de fonte sont nets
mais les perspectives se noient
dans un chaos qui brasse les
matités les ébullitions
il ne faut pas aller très loin
pour que les lignes les contours
ressemblent à la craie pilée.
Trop de géométries trop de
garde à vous trop de croisements
entre les axes verticaux
et ceux qui suivent l'horizon.
La ferraille a le pas martial
sous le grand triangle aveuglant
sphères et arceaux
se font discrets
court une aura lilas
mourante...
Viscères de l’obscurité
où l’ovoïde instant
inscrit
ses vomissures de varech
ses tignasses de lichen blanc
Les étoiles ont planté leurs yeux
passe-muraille
et ont percé
l’écorce épuisée de la vie
Et puis
le recommencement
sous la paupière du jour
l’oblique fuite du matin
tant de grandes larves alignées !
Tant de coups d’ailes dispersés
sur la ligne brisée du vent
dans l’axe équinoxial – chemin
de malentendu de chimère !
La patience chtonienne attend
borborygmes bitumineux
failles qui font le grand écart
rots qui crachent
l’apoplexie.
La liberté
l’hybridité
de ton regard hagard s’ébrouent
et dans ton sourire scorie
tes dents d’aspect pyramidal
mordent la clarté de la chair
ou bien la chair de la clarté
également écartelées
Les entrebâillements obscurs
surveillent les soleils trompeurs…
voici le pays où l’on meurt
face aux meutes denses et pointues
de losanges incandescents
aboyeurs de souffle et de braise.
Voici l’ovule calciné
d’où le tonnerre renaitra
pour se remettre en quête de
l’errance des rêves vomis.
Voici
la grève décharnée
où il pleut
des faucons de fer,
où otages d’un temps fractal
nous baignons dans l’étau abstrait
des formes en leur premier état
Les masques
ne tomberont point ;
ils sont accrochés au plafond
par triples ou octuples bouquets
regardant les points cardinaux ;
ils pendent ainsi que des raisins
en grappes en groupes attentifs
ils trainent des lambeaux
de peau
sanglants à leur face cachée ;
de temps en temps tels d’anciens
dieux bannis, ils expectorent
l’ombre
La laitance du firmament
sème d’impossibles futurs
où des lunes à peau jaunie
promettent la fécondité
aux chiens efflanqués fils du sol
qui les attendent gueule ouverte
Ne me demandez pas pourquoi
les mots,
se nourrissant de chair
offrent couleur et relief
et même duvet qu’on caresse !
Ne me demandez pas non plus
s’il y a quelque raison au fait
que la solitude ait l’aspect
d’une fillette un peu perdue
pour qui tous les lieux
sont étroits
patinés par
la chair-de-poule…
C’est la cruauté du
poème…
En apnée
l’ange est sage,
l’oiseau se débat
seul
l’air
éclate en sanglots
la paupière des loups
cille.
En apnée
mon épaule de caresse
se redresse
En apnée
s’éparpillent
des chemins noirs de sang
En apnée
la chair molle du champignon
s’affaisse
En apnée
l’hirondelle
vole
à la pluie
un œil,
un œil de gelée mauve,
elle en fera un œuf
que l’enfant
palpera
En apnée
l’enfant se balance sur ses pieds
dans l’espoir que l’anse des corbeaux se
résorbe
la pluie frotte son corps mou de morille
spongieuse
contre la dextérité de l’enfant-têtard
elle suce et phagocyte le temps présent
pour recueillir les fourmillements de sa marche
elle s’orne de squames proliférateurs
abandonnés au cœur
de sa dérive ultime
En apnée l’enfant voit
la chaussée de géants
se hérisser sous lui,
pousser
ses cheminées.
Pour toute réponse, l’enfant tête aux seins de
marbre clair
de la pluie-lune.
Bleu
de mer
Abysses
de bleu.
Mouvement bleu
des profondeurs
Bleu nuit
des essaims de poissons
qui pulsent leur oblicité,
qui contractent et déploient
leurs corps
amas de pointillés grouillants.
Bleu nuit
des grands bancs de poissons
bifurquant d’un seul coup dans leur
poche d’indescriptible bleu
de cobalt utérin, violent.
Bleu
de mer, vagues violentées
dos bleus entre geysers
d’embruns
souple nage des lames bleues
qui ressemblent à veines de roc
et qui piquent soudain du nez
dans le lait gris, lourd
de l’écume.
Bleu
de mer
sous le bleu de ciel
l’un presque noir
l’autre laiteux
l’un serein, pâle,
l’autre obscur
tout de fractures échevelées,
tout d’ocelles et grincements
deux bleus qui pourtant
se chevauchent.

Le monstre (dessin, 2013)
Géométrie
claque du bec
arpente les sillons du soir
comme une pute sur trottoir
dedans la bave des néons.
Géométrie
trace des liens,
institue des séparations,
des lignes pures et glacées
de distance, d'espace aigu.
À y bien regarder, voilà
qu'en fait, tout est géométrie,
volonté
d'ordonner, de fuir,
d'organiser les angles durs.
Et la géométrie nous broie
dans ses mandibules de fer,
ses métronomes obsédants ;
je la vois, qui aiguise ses
épées, qui peaufine ses rails
il faut toujours en passer par
l'espace entre, qui tisse sa
savante toile d'araignée
concentrique rachis du monde.
Le corps est solitude, il est
dedans son enceinte de peau.
Ni répit ni rémission dans son isolement îlien.
Il a beau se remémorer l’âge où il était
contenu
dans une niche de chaleur et d’eau où il
fusionnait avec un autre corps plus grand qui peu à peu le construisait,
le faisait surgir du Rien dans une pénombre
d’étang,
il sait ce qu’il est devenu :
monade que l’espace vêt,
nomade passager transi,
glacé par la vague du temps,
forteresse de nostalgie dont les chairs
lentement
rancissent,
demeure trop longtemps fermée défendue par des
volets clos
où s’accumulent les odeurs de confinement,
faisandées,
avant-coureuses du pourrir.
SANS TITRE
Que pouvons-nous contre le manque, ce grand
creux
comme inscrit en travers
de la chair
du présent,
implicite muet, souvent
inaperçu
mais sous-jacent tel un
filigrane secret,
une fantomatique symétrie
du monde ?
Serein, comme les plaines innervées de soleil,
comme les coteaux qui inclinent les saisons,
comme les espaces
arrondis en leur sommeil
comme l’extase fruitée
de trop d’étendue
c’est ainsi que l’esprit
aspirerait à être.
La lumière immobile, stable, à perte de vue.
Les coteaux, inamovibles, les coteaux pareils à
de grosse mamelles gonflée et
dorées par la lumière, ou alors à d’énormes
sphinges repues de bien-être, de plénitude.
Les coteaux, qui cernaient la vallée,
rassurants et rêveurs, qui bornaient fermement le paysage.
L’air : la brise chaude, blonde, qui se
balançait.
L’air : le plus souvent figé, enlacé au
soleil.
L’air et le soleil, semblables à deux bêtes
endormies.
La torpeur presque minérale de ces longues
heures creuses, plates.
L’espace, qui respirait, pulsait au ralenti.
Avant de s’échapper vers sa propre ouverture.
L’espace, plumeux, recourbé vers sa propre
fuite.
L’espace, tout occupé à miroiter, à faire
miroiter son élan. Tout occupé à se lancer vers lui-même, à se répandre.
C’était lui qui me fascinait. L’espace.
Circulaire. Linéaire.
Il s’évadait, avec une souplesse de serpent
nageur, avec une aisance qui avait l’art de relier, d’unifier le monde.
Des heures durant, je regardais l’espace se
ruer dans l’espace ; je le regardais enjamber magistralement les
distances, et voler à sa propre guise, fort de son ubiquité souveraine.
Quelquefois, il venait chatouiller, titiller
mon bout de nez de très jeune fille.
C’était lui, le maître d’œuvre de toute l’harmonie
de la vallée.
Et j’exultai. Sur le béton de la terrasse où le
soleil se plaquait.
Entre les prés herbeux, ventrus, qui
entretenaient leur rumeur de silence.
Toute cette obstination à divorcer du temps me
déstabilisait. Je la vivais comme un carcan, mais, dans la même mesure,
comme le vertige de la liberté même.
©Patricia Laranco

Buisson ardent (photo, 2014)
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