Interview : Angela Furtuna
Entretien réalisé et traduit par Nicole Pottier
Angela Furtuna :
une femme qui lutte pour la paix, avec des mots, qui milite pour une expansion
de conscience dans un monde actuel bouleversé et dont l’oeuvre littéraire
étonne, dérange aussi parfois, car elle puise ses racines dans
la culture hébraïque, dans la Kabbale, qu’elle traduit dans un
langage résolument poétique, aux images musicales et plastiques,
et cependant fortement spirituelles.
Témoin radicalement engagé dans son époque, Angela Furtuna
ne s’est pas exilée. Elle vit et habite en Roumanie, dans cette province
de Bucovine, fortement imprégnée par le judaïsme. Dotée
d’un grand sens de l’humour, voire de la dérision, elle manipule un
langage savant, très intellectuel, et porte sur le monde un regard
empli de tendresse et d’amour. Une femme au physique frêle et fragile,
qui a néanmoins une grande force, et contemple cette étoile
jaune que nous portons tous cousue sur notre coeur et nous rappelle en un
geste de dévotion notre devoir d’être humain
(
Photo personnelle : Angela Furtuna)
Kaddish pour rendre claire la source des regards /
et ceux-ci, dans les vagues glacées des utopies
ce sont tes yeux projetant des lapis lazulis
féeries nées d’une malédiction, comme des enfants conçus
par la mariée lors de sa nuit de noces
un maître me parle
de garnir mes veines de bagues de fiançailles
dans le développement de l’instinct
avec ces yeux de cendre
les chats blancs se passent les diamants
d’un arc-en-ciel à l’autre
tandis que tu partiras
et que tu te blottiras des genoux à la gorge
dans la poche marsupiale d’une pierre tombale
le professeur me parle
de réduire au même dénominateur
les bruits qui additionnent les interrogations de l’être
dans un souffle de vent
les résédas emplis du lait des mamelles
ouvriront pour toi la fleur
sous la terre de laquelle tintent les boucles d’oreilles
tu te trouveras dans le temps assorti
un éclair de lumière dans un éclair de nuit
il me parle timidement
celui qui détient la calculatrice
de la vie dépourvue d’obstination
(Traduction : Nicole Pottier)
|
şi aceştia, în valurile de gheaţă ale utopiei,
sînt ochii tăi proiectînd pe lapis lazuli
feerii născute sub blestem ca şi copiii
făcuţi de mireasă în noaptea nunţii
îmi spune un maestru
în dezvoltarea instinctului
de a avea venele umplute cu inele de logodnă
cu aceşti ochi de cenuşă
pisicile albe îşi trec diamantele
de la un curcubeu la altul,
în timp ce tu te vei duce
să te ghemuieşti cu genunchii la gură
în marsupiul unei pietre tombale
îmi spune profesorul
de adus la acelaşi numitor
zgomotele ce adună interogaţiile fiinţei
într-o adiere de vînt
rozetele pline de lapte ale sînilor
îţi vor deschide floarea
sub care pământul îşi zornăie cerceii,
vei fi acolo la timpul potrivit
aşchie de lumină în aşchie de noapte
îmi spune sfios
cel ce ţine socoteala
neîncăpătoarelor vieţi
Angela Furtuna
|
(
Photo personnelle : Angela Furtuna)
-Tu as écrit 3 kaddish à l'occasion du 60 ème anniversaire de la libération du camp d'Auschwitz:
- d'abord, qu'est-ce qu'un kaddish ?
- que représentent-ils , quelle est leur signification, le message que tu veux faire passer ?
En
1941, les autorités allemandes obligèrent les juifs à
porter bien en vue une étoile jaunes à six côtés.
Dans ces circonstances, le roi du Danemark, Christian X (1912 – 1947) fut
le premier à coudre sur ses vêtements une étoile jaune,
à droite sur le cœur, suivi en cela par beaucoup d’autres citoyens
danois – non juifs. Tout comme le professeur Andreï Oişteanu , préoccupée
de décrire et de révéler les rouages de la discrimination
et autres terreurs, j’ai vu dans la symbolique du geste du souverain danois,
un message très clair : «
une
obligation faite à une minorité s’est transformée en
un droit pour une majorité – un signe d’infamie s’est transformé
en un signe de dignité ». Le geste d’alors de ce courageux
et vaillant souverain a sauvé de la mort plusieurs milliers de gens
innocents. Et soudain, après des années, l’anti-sémitisme
revient en force en Europe. De nouveaux dérapages en direction de
l’extrême-droite – ou sur un mode absolument étonnant, également
en direction de la gauche, tendent à perturber à nouveau le
discours planétaire au travers d’accents discriminatoires.
Voici dans quelles circonstances on commémore les évènements
historiques qui mettent en évidence les horreurs des régimes
totalitaires – comme ce fut le cas des génocides nazis commis envers
les juifs, les génocides communistes commis dans les pays de l’est
sous la dictature soviétique –et qui ont besoin d’être constamment
rappelés à nos esprits doucement en plus d’y ajouter
la mentalité anti-totalitaire. La commémoration du 60°
anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz m’a fait souvenir
que moi-aussi j’ai toujours porté bien en vue une étoile jaune.
En effet, nombre des textes que j’ai publiés témoignent de
ces choix qui n’ont pas seulement une seule valeur théorique, symbolique,
et de pure éthique, mais aussi une attitude civique engagée.
Les kaddish que j’ai rédigés composent actuellement un vaste
recueil – où s’inscrivent de nombreux textes, et qui sera bientôt
édité. En essence, le kaddish est cette prière d’apprentissage
dans la souffrance du juif : la prière des morts. Le mot désigne
encore le terme de « saint » et par conséquent d’ «
hymne à la gloire de Dieu et supplique pour l’avènement de
Son règne sur la terre ». En araméen, le kaddish est
lu debout, le visage tourné vers Jérusalem et la présence
d’un minian est obligatoire.
(
*minian : Nombre de 10 juifs nécessaire à l'accomplissement des prières les plus importantes de l'office)
Le kaddish est mentionné pour la première fois, comme faisant partie de la
liturgie synagogale, dans un texte datant probablement du VI° siècle. Au
fil des temps, quatre versions ont circulé :
1 : Kaddish complet : lu plus particulièrement par le prêtre qui sert le rite selon l’amida *
(*amida : La Amida est la prière
centrale du Judaïsme. Elle est constituée de dix-huit bénédictions).
2 : semi –kaddish : qui est une forme
abrégée du kaddish mettant l’accent sur les différents moments du service
dans la synagogue.
3 : le kaddish savant : qui appelle
la charité divine sur les enseignants d’Israël et leurs disciples. Sa récitation
clôt les séances d’études.
4 : le kaddish des orphelins, qui
débute au XVIII° siècle, est récité surtout par les personnes endeuillées,
plus particulièrement par le fils aîné du défunt, dans les
11 premiers mois
du deuil. Le kaddish des orphelins, qui est donc préféré dans les périodes
de deuil, ne fait aucune allusion à la mort. Sa forme et son contenu trahissent l’ancienneté
de ce kaddish, tandis que sa structure rappelle que cet hymne se trouve en
étroite relation avec la prédication, avec l’étude.
|
Tel que je l’écris, moi, le kaddish est une littérature à
méditer, un poème noématique (1). J’ai eu la curiosité
de revêtir aussi ce vêtement, innovant dans mon œuvre littéraire,
afin d’expérimenter un certain plan sémantique original, un
lieu géométrique encore insuffisamment exploré avec
les armes de la littérature et j’ai eu recours à quelques ingrédients
spécifiques : le discours savant talmudique, jeu entre monde angélique,
monde visible et monde élémentaire- tel que le fondent les
22 lettres hébraïques, entre aleph et yod, entre caph et phe,
et relativement entre tsade et thau. Pas tout à fait en dernier lieu,
mes kaddish essaient de redécouvrir le divin originel, placé
depuis un angle bien moins accessible, et considérant que sous l’aspect
mystique, les lettres hébraïques ne structurent pas uniquement
le monde, mais lui attribuent un certain ordre , une certaine harmonie, comme
celle , influente, des cieux, l’investissant de la Force pour relier l’homme
autant à Dieu le Père, Dieu le Fils, ainsi qu’au Saint Esprit.
Kaddish de la moisson du champ labouré de nuit à travers le regard d’un jeune homme /
ne t’enveloppe pas
dans l’ombre où la feuille de vigne
cache la pointe du basilic au zénith
le professeur me parle
de la tentation de la soie vierge
dans les paumes froides
tu seras cet homme
qui s’endort dans le parfum d’une femme
comme dans un drap de sable
literie indolente
sur les pieds d'avant les pyramides
(Traduction : Nicole Pottier
|
nu te înfăşura
în umbra cu care frunza de viţă
ascunde sfîrcul busuioacei de amiază
imi spune profesorul
de ispitit matasea virgină
a palmelor reci
vei fi acel bărbat
care adoarme în mirosul de femeie
ca-ntr-un cearceaf de nisip
aşternut neglijent
pe labele din faţă ale piramidelor
Angela Furtuna
|
(
Photo personnelle : Angela Furtuna)
-Tu es "amoureuse de la culture juive".
peux-tu préciser ta position, ta perception de ces deux cultures, chrétienne et hébraïque ?
comment se fait leur "rencontre" dans tes écrits ?
Tout chrétien a deux patries « originelles »: le
lieu où il est né, et la Terre Sainte, plus particulièrement,
Jérusalem. Ainsi, un chrétien peut se sentir chez lui, non
seulement dans sa patrie natale physique, mais aussi dans celle de son origine
chrétienne, à la spiritualité juive.
La religion chrétienne est née à Jérusalem. Le
nombril du monde chrétien est là, instituant un «
astre spirituel » autour duquel gravite et se structure chaque être
humain.
La province où je suis née et où s’est déroulée
mon enfance, s’appelle la Bucovine, elle a été au long des
siècles passés un lieu dans lequel a prospéré
la pluralité culturelle. Auprès des roumains, des allemands,
des polonais, des russes, des grecs, des arméniens, ont vécu
de grandes et importantes communautés juives. C’était une richesse
qui représentait la vie du Steitl, la ville juive de l’Europe de l’est.
On parlait généralement le yiddish… Le modèle de civilisation
et de culture, comme le modèle d’organisation familiale et d’éducation
des enfants était calqué, jusqu’à il n’y a pas si longtemps,
à peu près uniquement sur le modèle juif. Tout comme
l’Europe entière au siècle dernier, ma région était
peuplée de gens parlant yiddish. Cependant, nous savons tous que sur
les 11 millions de gens parlant yiddish, l’holocauste en a éliminé
6 millions, portant ainsi de sérieux coups aux milieux culturels et
à leur richesse. L’histoire des juifs de Bucovine réitère
l’histoire des juifs d’Europe. Après les coups assenés au judaïsme
et à la culture yiddish par la Shoah, la population hébraïque
parlant le yiddish a été grandement absorbée soit par
l’Amérique (phénomène commencé après la
première guerre mondiale), soit par Israël qui a intégré
la culture yiddish, véhiculée par la Diaspora, en se mélangeant
aux politiques culturelles sionistes qui ressuscitèrent la langue
hébraïque et prédestinèrent un nouveau modèle
de culture juive en terre d’Israël.
Dans mon enfance, la Bucovine était une « terre promise »
dans cette partie sud-est de l’Europe Centrale. La majorité de mes
compagnons de jeu étaient des enfants juifs, et à l’école
aussi, j’ai eu de nombreux professeurs juifs. Les professeurs qui enseignaient
plus particulièrement la musique (piano, violon, histoire de la musique
et solfège) ou les langues étrangères (français,
allemand, anglais, russe) étaient avant tout juifs. J’ai moi-même
étudié le piano et le français avec deux professeurs
juifs, que j’aimais beaucoup. L’une d’entre elles est morte récemment
à Haïfa. Dans ma famille – chrétienne – comme dans beaucoup
d’autres familles de Bucovine, le seul « trésor » de la
maison auquel les parents remettent les clés du savoir universel grâce
à une solide éducation, est l’Enfant : ceci est une dominante
culturelle chez les familles juives traditionnelles, qui s’est imposée
en tant que modèle dans la province toute entière. En quelque
endroit que l’on soit dans le monde, que ce soit en Europe, en Amérique
ou au milieu de l’océan, l’enfant juif baigne dans le sacré
dès le premier âge, dans sa famille autant que dans les écoles
sérieuses (plus affirmé dans les écoles religieuses),
héritage culturel complet des semences qu’on a mises en lui et qui
l’accompagne sur le chemin avec un niveau infiniment supérieur, pour
répandre en lui et dans toute sa génération, la culture
juive. Ce message de solidité et d’approfondissement dans tout ce
que l’on entreprend, les juifs l’ont laissé également en Bucovine,
même après être partis pour Israël.
Je me suis formée dans cette alliance de culture – chrétienne
et juive – j’ai moi-même accumulé une grande richesse, engendrée
dans le culte de l’amitié, la générosité, la
joie de donner, la passion de créer et de bâtir. Dans cette
fine architecture savante et personnelle, j’y vois les racines de mon langage
littéraire actuel qui se fonde sur un certain métissage entre
symboles chrétiens et symboles judaïques.
Kaddish pour adoucir d’inutiles petits riens./
la vie est tout ce qui ne peut être autre
cependant que la face de glaise du rabbi
ressemble à un âtre
où ton regard de serpent hypnotique
tresse une braise
chaque jour, le professeur me parle
au sujet de l’identité altérée
dans des univers parallèles
la vie est tout ce qui pourrait être métavisualisation
à l’intérieur d’une allusion fortuite
sans aucun noyau de désordre
dans chaque pénombre, le professeur me parle
du silence qui s’accorde
avec le vide mental dans l’impondérable
la vie pourrait être le centre de puissances non advenues
qui suspendent l’hypothèse de toutes les limites qui soient
si la féminité ne s’apprivoise pas
dans le mystère aigu de l’oeuf vesod
quelqu’un me parle
qui commercialise le mystère non révélé
telle une constante dans la non-inertie
(Traduction: Nicole Pottier)
|
viaţa e tot ce nu poate fi altceva,
atunci cînd chipul de pămînt al lui rabbi
pare o vatră în care
privirea ta de şarpe hitgalut
toarce un fir de foc
îmi spune în fiecare
zi profesorul de descompus identitatea
în universuri paralele
viaţa e tot ce ar putea fi metavizualitate
într-o aluzie întîmplătoare
la nici un nucleu de dezordine
îmi spune în fiecare penumbră
profesorul de acordat tăcerea
cu imponderabilitatea deşertului mental
viaţa ar putea fi centrul unei puteri neinaugurate
care suspendă ipoteza oricărei limite
dacă feminitatea s-ar neîmblînzi
prin misterul acut al oului vesod
îmi spune cineva
care comercializează misterul nerevelat
ca pe o constantă a non-inerţiei
|
(Photo personnelle : Angela Furtuna)
-
Ton vocabulaire fait référence à la Kabbale, peux-tu nous parler de cette philosophie ?
Qu'est-ce que la Kabbale ?
Quelle est ton approche personnelle, ton interprétation ?
La Kabbale représente un ensemble de notions qui, sur un mode spécifique,
désigne l’enseignement mystique et ésotérique du judaïsme.
Dans la Kabbale, selon Gershom Sholem, « la loi de la Torah s’est transformée
en symbole des lois universelles, et pour l’histoire du peuple juif, symbole
du processus universel. ». L’univers de la Kabbale semble inquiétant,
parce qu’il n’existe pas en lui de notions intellectuelles banales, ni de
registres mystiques familiers. La kabbale opère avec des symboles
fermés, où fusionnent depuis toujours deux types d’expérience
: expériences psychologiques des mystiques hébreux et expérience
historique de leur communauté. Moi, ce que je trouve dans l’essence
de la Kabbale et que j’apprécie comme étant très utile
à mes écrits, c’est justement cette confluence du monde imaginatif
avec les faits historiques, qui définissent une « psychologie
historique », que le judaïsme s’approprie en totalité en
parcourant cette voie inconfondable . La mystique juive, tout comme les autres
traditions et enseignements anciens, défie l’intelligence rationnelle
de l’homme, et le fascine dans ce processus d’étonnement.
Le point de départ pour appréhender la kabbale est l’alphabet
hébraïque, composé de 22 lettres. Celles-ci s’alignent
selon un ordre et d’après les lois de l’univers lui-même. A
chaque lettre de l’alphabet correspondent un numéro selon son rang,
un signe graphique selon sa forme, et un symbole selon ses rapports avec
les autres lettres. Toutes les lettres proviennent d’une seule et unique
:
le yod, qui a engendré toutes les autres.
1. Trois lettres « mère » : Aleph, Mem, Shin.
2. Sept lettres doubles (car elles
expriment deux sens : un positif, fort, et un négatif, doux) : Beth, Ghimel,
Daleth, Caph, Phe, Resch, Thau.
3. Douze lettres simples : he, vau, yain, heth, teth, iod, kamed, nun, samech, hain, tsade, coph.
Pour la Kabbale, chaque lettre revêt une triple signification et représente trois choses à la fois :
1- Une lettre (donc un signe graphique)
2- Un nombre (le numéro de l’ordre que chaque lettre occupe dans l’alphabet)
3- Un concept .
|
Donc, combiner les lettres hébraïques signifie combiner les nombres
et les concepts; d’où la création du Tarot. Chaque lettre représente
une puissance qui est plus ou moins égale et en rapport étroit
avec les forces de la création de l’Univers. Comme ces forces évoluent
sur les trois plans : physique, astral et psychique, chaque lettre représente
le point de départ en même temps que le point d’arrivée
d’une multitude de correspondances.
Combiner les mots hébraïques signifie agir sur l’Univers lui-même,
et ceci explique la présence des mots hébraïques lors
des cérémonies magiques.
En cheminant seule sur cette voie initiatique, en m’égarant souvent,
voici comment – après avoir dépassé la fascination des
oeuvres majeures des mystiques hébreux, qui est le zohar (un texte
fondamental de la Kabbale) – je suis parvenue à l’entière compréhension
de cette force exceptionnelle où le symbolisme mystique peut se parer
de qualités littéraires pour faire naître l’Univers
dans un texte. «
La terre devient
alors lumineuse, telle une contrée intermédiaire placée
entre l’univers humain visible et l’univers transhumain et transvisible dans
la hiérarchie des cieux. » C’est à cette condition
que l’homme sort du sensible sans sortir, en fait, du réel,
tout en restant attentif, néanmoins, au phénomène, fameusement
décrit par Andrei Pleşu, pour qui «
notre terre devient une terre de voyants ».
Kaddish pour Beer Sheva/
(Beer Sheva, mon amour)
tu ne m’as pas choisie cette fois-ci, la mort,
tu m’as seulement sauté dans les bras et mordu la joue
tes yeux sont deux étoiles éteintes
à travers lesquels crient les enfants, les femmes et les hommes captifs
dans ta caverne de diamant
il fait nuit à Beer Sheva et les rues de la ville montent jusqu’aux cieux
deux amoureux sont assis sur le trottoir plein de sang
et se jurent un éternel amour
ils s’embrassent en se parlant de la mort
deux autres amoureux se font des habits de noce
avec le reste des vêtements trouvés sur le cadavre après l’explosion
en robe et costume blanc, ils s’uniront au silence.
deux autres amoureux encore recueillent les fragments humains
éparpillés autour de l’autobus
et les cultivent avec les fleurs dans leur jardin.
demain jailliront de la terre des anges rouges
c’est la nuit de la mort à Beer Sheva
et les amoureux se préparent à la vie
tu ne m’as pas choisie cette fois-ci, la mort,
tu m’a seulement sauté dans les bras et mordu la joue
ta gorge intarissable a englouti à nouveau
seize âmes innocentes.
c’étaient seize frères qui s’en allaient cueillir
les fruits sur l’arbre de la vie. Ils étaient mes frères.
c’est la nuit à Beer Sheva et quelqu’un jette une nasse
sur les maisons enterrées en vain
sous des pierres de feu se niche la crainte
mais de cette peur naissent des hommes et des femmes libres
les amoureux se promènent insouciants
sur les toitures. ils se tiennent par la main
et s’éloignent de la flamme
la journée se présente comme un grand poisson
que tous vont déguster
tel un corps qui se nourrit des morts
tu ne m’as pas choisie cette fois-ci, la mort,
tu t’es enroulée autour de ma gorge comme un étendard
s’enroule à son pays sans trève. tu m’a apporté un brin
de verset et tu t’es endormie sur mon sein
tu n’es qu’un nourrisson jamais rassasié
écoute comme résonne ce kaddish
et dors, ma belle, dors
dors, et ne te réveille plus
laisse mes enfants en paix qu’ils apprennent
l’amour des lettres
laisse mes enfants en paix qu’ils nagent dans la félicité
laisse mes enfants en paix qu’ils cultivent des arbres
dans le désert
laisse mes enfants en paix qu’ils érigent des châteaux.
laisse mes enfants en paix qu’ils deviennent des princes
laisse mes enfants en paix qu’ils volent par-dessus les océans
laisse mes enfants en paix qu’ils grimpent sur les rochers
laisse mes enfants en paix qu’ils boivent l’ambroisie
laisse mes enfants en paix qu’ils remplissent la maison d’autres enfants
laisse mes enfants en paix qu’ils fassent les lois
laisse mes enfants en paix qu’ils chantent neshama
laisse mes enfants en paix qu’ils tirent à l’arc
laisse mes enfants en paix qu’ils prient
laisse mes enfants en paix qu’ils franchissent les seuils
laisse mes enfants en paix qu’ils découvrent
le Seigneur dans la pulpe d’une noix
il fait nuit à Beer Sheva
il fait nuit quand les amoureux se promènent sans cesse
dans les rues qui montent aux cieux
chacun tenant dans sa main un tel coeur
d’où jaillit la lumière
telle une pluie rouge matinale
(traduction : Nicole Pottier)
|
nu m-ai ales pe mine nici de data asta, moarte,
doar mi-ai sărit în braţe şi m-ai muşcat de obraz.
ochii tăi sînt două stele stinse
prin care mă strigă copiii şi femeile şi bărbaţii captivi
în peştera ta de diamant
e noapte la Beer Sheva şi străzile oraşului urcă la cer.
doi indrăgostiţi se asează pe trotuarul plin de sînge
şi îşi jură dragoste veşnică.
ei se sărută vorbindu-şi despre moarte.
alţi doi îndrăgostiţi îşi fac hainele de nuntă din
resturi de veşminte găsite pe caldarîm după explozie.
în rochie şi costum alb se vor uni cu pacea.
iar alţi doi îndrăgostiţi adună fragmentele umane
împrăştiate în jurul autobuzului
şi le cultivă în gradina cu flori.
mîine vor răsări din pămînt îngeri roşii.
e noaptea morţii la Beer Sheva
şi îndrăgostiţii se pregătesc de viaţă
nu m-ai ales pe mine nici de data asta, moarte,
doar m-ai strîns în braţe şi m-ai sărutat pe obraz.
gura ta nesătulă a mai înghiţit
şaisprezece inimi nevinovate.
erau şaisprezece fraţi ce mergeau sa culeagă
fructe din pomul vieţii. erau fraţii mei.
e noapte la Beer Sheva şi cineva arunca năvodul
peste casele îngropate în deşert.
sub pietre de foc se cuibăreşte frica
iar din teamă se nasc bărbaţi şi femei liberi.
îndrăgostiţii se plimbă nepăsători
pe acoperişuri. ei se ţin de mină
şi duc mai departe o flacără.
ziua se prefigurează ca un peşte mare
din care toţi se vor înfrupta
ca dintr-un trup al morţii care hrăneşte
nu m-ai ales pe mine nici de data asta, moarte.
mi te-ai incolăcit în jurul gîtului ca un steag
al ţării fără odihnă. mi-ai adus un grăunte
de verset şi ai adormit la sînul meu.
eşti doar un prunc ce nu se mai satură
ascultă cum răsună acest kaddish
şi dormi, frumoaso, dormi.
dormi şi nu te mai trezi.
lasă-mi copiii în pace să înveţe mai întii
iubirea de litere.
lasă-mi copiii în pace să înoate în cer.
lasă-mi copiii în pace să cultive copaci
în deşert.
lasă-mi copiii în pace să ridice castele.
lasă-mi copiii în pace să devină prinţi.
lasă-mi copiii în pace să zboare peste ocean.
lasă-mi copiii în pace să se caţere pe stînci.
lasă-mi copiii în pace sa bea ambrozie.
lasă-mi copiii în pace să umple casa cu alţi copii.
lasă-mi copiii în pace să facă legi.
lasă-mi copiii în pace să cînte neshama.
lasă-mi copiii în pace să tragă cu arcul.
lasă-mi copiii în pace să se roage.
lasă-mi copiii în pace să paşească peste prag.
lasă-mi copiii în pace să-l descopere pe
Dumnezeu în miezul de nucă
e noapte la Beer Sheva.
e noaptea cînd îndrăgostiţii se plimbă fără odihnă
pe străzile ce urcă la cer,
ţinînd în fiecare mînă cîte o inimă
din care ţîşneşte lumina
ca o ploaie roşie matinală
Angela Furtuna
|
(
Photo personnelle : Angela Furtuna)
En conclusion :
-
Peux-tu nous parler de ta spiritualité aujourd'hui en relation avec ton oeuvre littéraire.
Depuis toujours, le problème est d’inventer de nouvelles ressources
pour imaginer. Nous ne sommes pas obsédés par l'irréel,
à partir du moment où nous n'avons pas sans cesse en tête
la révélation de l’imminence de la perte du monde, au côté
de la culpabilisation pour la perte du paradis. Cependant si je ratais le
grand infini, il n’en resterait pas moins la tentation de ne pas rater le
petit infini.
Ces recherches mettent en mouvement les éléments qui construisent le texte.
Si je devais répondre à la question «
A quoi vous occupez-vous ? », à l’heure actuelle, je répondrais : «
je
suis un dompteur de textes … je me transforme en texte, tout mon être
prend la place du texte, comme dans un véritable psychodrame où
le texte est mon alter-ego, et tout mon être démontre au texte
la modalité pour m’accepter en tant qu’être humain. »
Le cramponnement entre l’écrivain et le texte est, de fait, une lutte
permanente avec un animal qui aime la liberté.
A la plus petite inattention, le texte déchire l’auteur et se réduit
à quelques grammes de lettres sans vie ni idée valable. Jusque-là,
l’expérience m’a appris qu’un texte véritable naît d’un
être véritable, on ne peut pas se maintenir en dehors des concepts
symboliques. Et parmi tous ces concepts symboliques, m’apparaît comme
satisfaisant non seulement celui qui prolonge une hiérophanie,
mais aussi celui qui constitue en lui-même une révélation,
inexprimable au moyen d’une autre matrice magico-religieuse…
Le texte peut être n’importe quel lieu, tel un sanctuaire atopique,
susceptible d’être une tente que l’on déplace de lieu en lieu
chez le malade du néant, c’est-à-dire l’écrivain. Nous
pouvons décrire le texte, donc, comme une ubiquité virtuelle
dans un lieu de culte. Loin du symbolisme – qui récapitule davantage
l’actuelle Genèse- le texte, en tant que pensée afférente,
refuse la valorisation. Autant dans « Primul Kaddish » (Editura
Dacia – Cluj Napoca- 2002), que dans « Poemian Rhapsody – Cartea Donei
» (Editura Axa – Botoşani – 2004), j’ai renouvelé l’expérience
de certaines responsabilités sacrées en investissant le texte
de fonctions cosmologiques et cosmogoniques.
La logique juive, en suivant la très vénérée
Sepher Yetsirah – le livre de la création kabbalistique- a comme racine
principale la culpa et le processus dans lequel celle-ci peut ébranler
l’alliance entre Yahvé et l’homme. Le texte comme le crée l’écrivain
qui obéit aux lois juives se trouve en correspondance avec l’architecture
numérologique de l’univers. Donc, chaque erreur, intentionnelle ou
non, a de fatales répercussions sur les fonctions en tant qu’ensemble
dans l’architecture cosmique, et par défaut sur les peuples
qui servent la volonté divine.
En ce qui me concerne, je conçois le texte comme la plus importante
source divine pour l’homme. Par ailleurs, pour ce divin, le texte est la
principale base de données chez l’humanité qui implose. Descendant
du zohar – comme genèse de lumière et escaladant l’échelle
des vérités dans l’arbre des séphiroth, le texte doit
générer un véritable rapport mathématique entre
la forme visible et le concept invisible qu’il engendre.
Un monde sans Dieu instaure tôt ou tard une architecture cosmique qui
se retourne contre l’homme. Un texte conçu en dehors d’une épiphanie
soustrait Dieu à l’homme. Pour écrire, il est nécessaire
que l’attraction des mots soit égale à l’attraction gravitationnelle,
établissant un champ symbolique qui sacralise. Dans mon récent
volume, intitulé «
Poemian Rhapsody
» Le système solaire au complet des poiétiques (2) se
concentre dans ce texte : «à la lisière de la ville avec
une immortelle juive
».
C’est précisément dans cette traque des mots que la Vierge
Marie recouvre de sa coiffure les pensées grâce auxquelles l’homme
escalade l’échelle d’argent. Le final de cette quête initiatique
se retrouve dans la plus belle des récompenses : la littérature
comme résurrection.
Angela Furtuna.
(
Photo personnelle : Angela Furtuna)
Nota :
1) Dans tous les vécus
intentionnels habite un sens noématique originaire, selon une relation
noético-noématique spécifique. «
Il
peut s’agir chaque fois d’un arbre en fleurs, et chaque fois cet arbre peut
apparaître de telle façon que la description fidèle de
ce qui apparaît comme tel se fasse nécessairement avec les mêmes
expressions. Et pourtant les corrélats noématiques sont pour
cette raison essentiellement différents, selon qu’il s’agit d’une
perception, d’une imagination, d’une présentification du type portrait,
d’un souvenir, etc., etc. Dans un cas ce qui apparaît est caractérisé
comme "réalité corporelle", une autre fois comme fictum,
dans un autre cas encore comme présentification du type souvenir,
etc. Ce sont des caractères que nous découvrons sur le perçu,
l’imaginé, le souvenu, etc., comme tels – sur le sens de la perception,
sur le sens de l’imagination, sur le sens du souvenir ; ils en sont inséparables
et lui appartiennent nécessairement, en corrélation avec les
espèces respectives de vécus noétiques ». Ces
vécus noético-noématiques eux-mêmes ne sont pas
simples, mais apparaissent dans le flux temporel de conscience avec leurs
apparitions, silhouettes, profils, facettes, esquisses, couches et moments
complexes (Abschattungen).
In «
Phénoménologie » de Husserl.
2 : "
par poiétique”
j’entends décrire le lien parmi les intentions du compositeur, ses
procédures créatrices, ses schémas mentaux, et le résultat
de cette collection de stratégies; c'est-à-dire, les composants
qui entrent dans l'incorporation matérielle du travail. La description
de Poiétique se rapporte ainsi également à une formule
tout à fait spéciale de l'audition (
Varèse l'a appelé ... l'oreille intérieure)''
:
ce que le compositeur entend tout en imaginant les résultats sonores
du travail, ou tout en expérimentant au piano, ou avec la bande.''
Jean-Jacques Nattiez, sémiologue, professeur de musicologie à l’université de Montréal.
Nicole Pottier, pour Agonia France,
en partenariat avec Francopolis, avril 2005.