Warrou,
cette liturgie des femmes amazighes
Par Zaïd Ouchna
Le plaquage monstrueux des Imazighen du
sud-est marocain, par les tenants qui se sont succédés
à la tête de cette domination, les a forcés
à vivre en occultisme et en nocturne ; et donc loin
des yeux du reste du monde depuis plusieurs décennies.
La peuplade locale, s’est alors retrouvée face
à elle-même et forcée à la subsistance
dans des oasis au désert, dans des détroits
des chaînes des montagnes et sur l’Est des hauts
plateaux, du haut et de l’anti-Atlas. De Tidjit, Awfous
à Alnif, de Tana, Tadighoust à Tamgrout et d’Imi
n Lchil, Tinghir jusqu’au Dadés, une contrée
grande comme la Belgique, aride et qui n’a jamais été
l’objet d’aucune sollicitude utile pour les décideurs
et les locataires des bureaux de Rabat ; loin derrière
ces chaînes naturelles dont la perspective est de près
de sept cents kilomètres. Imazighen de cette région
se sont flanchés à la nature, leur seule compagnie,
car ils sont assujettis au mutisme pour que personne n’entende
plus leur voix. La culture, la mémoire, l’histoire
et la pratique des rites locaux, qui se sont transmis de génération
en génération restent à ce jour inconnus
des Imazighen eux-mêmes; tous les autres. Bien des idées,
des méthodes, des pratiques ou des créations
de pied-à-terre qui pourraient être d’un
apport utile au savoir humain sont jetées dans des
tiroirs de l’oubli à cause de la pensée
unique ; mais aussi du mépris à la diversité.
Répudier la participation à la richesse de la
connaissance universelle pour d’autres langues qui véhiculent
une civilisation autre que la sienne, refouler l’intelligence
qui découle des autres traditions relèverait
de l’absurdité ; si ce n’est d’un
acte rustique. De nos jours, il faudrait être câblé
différemment des autres pour pouvoir se fier à
la thèse de l’épuration linguistique ou
culturelle.
Malgré l’isolement donc de cette région,
délimitée plus haut, sa population persistait,
tout de même, à transmettre à longueur
des temps son héritage culturel par voix orale. Ce
qui a développé la vocation – non négligeable
ici- de la narration. Grâce à elle, la pensée,
la sagesse et les traditions des ascendants ont pu être
préservées saines et sauves; dans l'essentiel
de leur quintessence!
Vu la richesse et la diversité de cette culture séculaire,
on n’en peut plus immense, je parlerai ici d’un
chant des femmes : Warru ; pratiqué
comme rite par la junte féminine exclusivement. C’est
une harmonie de vers élaborés depuis des siècles,
chantés dans des airs longs à voix vibrantes
et par lequel les femmes ouvrent les festivités des
mariages seulement. Ils sont transmis intégralement,
de génération à une autre, avec interdiction
d’altération ou d’un quelconque ajout.
Ce chant commence d’abord, par interpeller justement
WARRU ! Puis, on lance des appels
et des vœux pour la prospérité du bonheur,
à l’image d’une prairie alimentée
en abondance par une source d’eau fraîche. Il
est chanté par des dizaines de femmes sous forme de
chorale répartie en deux groupes, autour du marié
ou de la mariée, pour assimiler mutuellement et alternativement
des rôles bien distincts. Le premier volet chante après
l’appel, les vœux des mères des mariés
et leur fierté de célébrer le mariage
digne de ce nom. La réplique des autres femmes manifeste
leur approbation de sœurs de la communauté et
annonce qu’elles chantent haut et fort Warru !.
Ensuite, elles se regroupent dans le chant toujours rythmé
pour l’éloge du personnage de la femme en général.
Puis, le premier groupe interpelle les séants envoyés
du marié (isnayen) sur les mérites
de leur protégé, le second dans le rôle
de ces derniers, toujours par le chant, annonce les richesses
apportées à la mariée en proclamant la
vaillance et le courage du marié. Le tour des mères
est repris pour afficher son enchantement à l’union
des deux pigeons et qu’elles dédient le tapis
à dix étoiles à toutes les belles filles
du monde. Ensuite et ensemble cette fois-ci, elles signifient
des recommandations au marié pour protéger et
gratifier la fille la plus chère à sa mère.
Pour couronner, les femmes changent délicatement le
rythme, un peu plus rapide que précédemment,
et en même temps le ou la mariée se met debout
cette fois-ci. C’est l’heure aussi du rituel de
jonction des doigts par un fil de laine pure (azellum)
; acte qui symbolise l’attachement et l’union.
Déterminer l’attachement à quoi et l’union
avec qui et pourquoi est une autre paire de manche. Pendant
cet exercice, elles chantent la partie de Warru appelé
: le dispendieux (Abaghur) ; désignant le
marié. C’est pour lui signifier, toujours par
le chant rythmé, qu’il est tenu à respecter
et bien traiter la mariée. S’ils ne s'accommoderaient
plus, qu’il l’escorterait chez sa mère,
sans confrontation et sans insulte. Le rôle de la mère
s’enchaîne pour vanter l’éducation
de sa fille, elle interpelle les femmes de la localité
pour leur souffler : qu’elle leur confie la fille. La
solidarité féminine oblige !
Nous en retenons alors, que ce lied pratiqué en liturgie,
est un ensemble de conseils affirmés et légués
par des prédécesseurs au nom de Warru !
C’est pour mettre en relief des valeurs intangibles
que la généralité est tenue d’honorer
notamment : les femmes, les mères des mariés,
la mariée, le marié et les honorables envoyés
du marié (Isnayen). J’en déduis
que le syntagme Warru est déformé par
l’usure de l'autre visage de la voix orale ; et par
conséquent il s’écrit mal. Le tout laisse
à croire que ce mot s’écrirait convenablement
par :
Wa yru (d’origine : Wa iru).
Wa : la préposition d’appel; comme il
peut être aussi le démonstratif « CE ».
Iru : littéralement veut dire : ancêtre,
ancien (selon le dictionnaire Amazigh).
En guise de conclusion, j’opte, jusqu’à
preuve du mieux, pour la variante suivante :
-Warru , est un appel au nom de l’ancêtre
(des anciens !) .
Nb: Avant d'agréer à la version citée
plus haut, j'avoue que j'avais tendance plutôt à
la transcription ci-après: war rru ; c'est-à-dire
le chant sans ajouts (celui des ancêtres!).
Voici donc une traduction de quelques vers authentiques en
langue française; pionnière en son genre:
Warru ! Oh Warru !
Le bonheur sera mien
Tel un ruisseau sur une prairie
Une prairie inséparable d’une source d’eau
Mon bonheur, j’ai fêté à mon fils
Un mariage digne de ce nom
Aujourd’hui plus que jamais
Mes sœurs, proclamez Warru !
* Nous clamons, nous chantons
Haut et fort Warru !
Je suis une abeille, je courtise les fleurs
Je prélève le jus des crèmes
Il n’y aura pas d’espace asséché
Elle ne séjourne pas dans l’infécondité
* Oh ! Tapis à dix étoiles
Dédié aux belles femmes
L’aménité est pour le monde entier
* Demandez après moi, tous les
miens
Aujourd’hui plus que jamais
Renvoyez les mulets
Que le fer n’alterne pas nos belles mariées
* Je doute de son aptitude
Si elle assume le réveil des aurores
Si elle peut servir sa communauté
* Je suis béate de nos jours devenus
Des audiences fructueuses pour le meilleur
Oh ! Séants qui viennent après le bétail
Laissez-nous traire pour vous démêler
Révélez-nous votre opulence ?
* J’apporte les bijoux et des
fibules
J’apporte les sentiers éclairés
Pour votre considération, peuple de généreux
!
* Elle sied dans l’ombre de l’amandier
Sous les altitudes, elle boit à sa soif
Sous les altitudes, elle attache son cheval
* Je suis un dur pour mes adversaires
Je donne ma hache au forgeron
Pour limer l’éperon
Je rosse sur l’épaule de nos adversaires
Je suis un dur intarissable
Je suis un fleuve infranchissable
Je suis un lion indomptable
* Venez vers moi sœurs de communauté
Aujourd’hui plus que jamais
Ma coiffe est sur une tête honorable
Lâchez le grossier, prenez la soie
Le pigeon change de trousseau
Le trousseau, le vrai trousseau
Je vois le ruisseau qui longe le coteau
C’est pour l’aspersion des belles plantes
Qu’elle arrose ainsi pied de la vigne
Qu’elle prête abondamment le raisin
Que le rempart s’élève plus haut
Le tien aussi fils adoré.
Warru aqbur
Warru ! a Warru !
Aggay-1 (Groupe-1) :
Warru ! Warru
Zayd a âlaxir zar-i
Ad ig’ amm ugusif s almu
Almu n ighbula n waman
A yaâri-nnew gigh mimmi
Tameghra nna igan tameghra
Agg-agh-d a mag ligh ka n wadu
Ass amm waddegh a mi kwen i righ
A tidda ywalan zzenzimt Warru
Aggay-2 :
Warru ! a Warru !
Hayyagh zzenzigh Warru
Gigh tizizwa righ almu
Ad uttegh i tuga tiwtatin
Ur daddegh imeggi nna ighuran
Ur da tteghima g dinna yeghuran
Aggay-1 :
Warru ! a Warru !
A yikdif igan aâcariy
A k-i-kegh i tegziwin zilnin
Tuwid lâezz a tarbatt-inew
Lâezz win ddunit kullu
Aggay-2 :
Warru ! a warru !
A lâezz n iwdejan i trika
Gigh-d anegmar nuwey ighir
Uwigh-d i yghejden timlalin
Aggay-1 + Aggay-2 :
Agg’-agh-d, a tin yu-new
Ass amm waddegh a mi kwen i righ
Utat taserdunt ad teddu
Ad ur yagh wuzzal tislatin.
Aggay-2 :
A wissen a yad is ighey i ka ?
Ad tnekker igwejman n yidan
Ad texdem i lejmaâet
Aggay-1 :
A waâri-new gan-agh wussan
Tirim saâdnin s afella
A yisnayen d-i-zwarent wulli !
Gat-agh a nezzeg a kwen-i-nsala !
Ariw mayed d-i-tuwim ?
Aggay-2 :
Uwigh-d izebyan d tseghnbas
Uwigh-d iberdan mellulenin
Zarr’un a midden meqqurnin !
Aggay-1 :
Uwigh-d mm udlal ihurran
Tama-nnek a lluz ag tesmulu
Tama n ighuliden ag tess’ aman
Tama n ighluden ag tteqqen iyyis*
Aggay-2 :
A yiâdawen gigh-awen imri
A kem-kegh i wemzil a tafrut
Ad am-ssebruruyen imi
A kem-kegh i leâdu-nnegh s ighir
Gigh imri ur da nettukkuf
Gigh angi ur da nttundaw
Gigh izem ur da nettughlay
Aggay-1 :
Gigh-k a lehna krad wussan !
Yuley ukenbuc ighef izilen
Sires aderbal agh lehrir.
Aggay-2+ Aggay-1 :
Ixellef utbir timelsa
A yisli a buteâmamin
A butkurbyin tiwraghin
Ur irdi ad ikk’ akal
Annigh yat tergwa tuwey ighir
Ad tessew agheddu-nnek a lhenna
Ad tessew agheddu-nnek a rrihan
Ad tesswa ddwali n wadil
Ad isilew i wezrur ar akal
Ulin ifergan s afella
Ulin awed winnek a mimmi.
Abaghur :
Aggay-1 + Aggay-2
Nnigh-ak, i nnigh-ak a yabaghur
Mek ur ak-teâjib tughul-id illi
Ad i-wer-tekkatt’ i wla tergemd-it’
Illi-new, illi-new a tisgmitt-inew
Talligh d-i ssegmigh teddu tzery-i
Illi-new, illi-new a tanagamt
Illi-new illi-new a tanazdamt
I lâar-nkwent illi-new a timezdughin !
Ps : Je voudrai préciser ici, que cet essai est
venu suite à de longues heures de recueillement et
disproportionnées le long de l’année sous
des palmiers au désert. C’est juste une manière
de rendre hommage à ce petit ombre béni du palmier
dattier dans une région aride, désertique et
oubliée.
Zaïd
Ouchna pour Francopolis,
recherche par Ali Iken
septembre 2006.
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