RENE GUY CADOU, aperçu
poétique,
par Orlando Jotape
Rodriguez

Source photo : centre
René Guy Cadou
" J'écris pour des
oreilles poilues, d'un amour obstiné qui saura bien
, un jour, se faire entendre",
écrit Cadou dans "Usage interne". Oui,
on t'entend, René. Ta poésie claire et franche,
bonne comme du bon pain et capable aussi de virtuosité
nous touche droit au coeur. Dans le même "Usage
interne", ces formules : "La poésie
n'est rien que ce grand élan qui nous transporte
vers les choses usuelles , usuelles comme le ciel qui nous
déborde." - " J'aimerais assez
cette critique de la poésie : la poésie est
inutile comme la pluie." - " Je ne conçois
pas de poésie sans un miracle d'humilité à
la base".
En se gardant de la prétention d'enfermer la poétique
de René Guy Cadou en une page, on peut essayer d'en
apercevoir les grandes lignes.
Ainsi, c'est une poésie pour des oreilles poilues,
s'adressant "au maréchal, au charron, au "cocassier"
(un mot admirable), à la buraliste, au boucher, au
fossoyeur, à l'épicier..." ( ibid ).
Ce sont gens de son village, qu'il côtoie quotidiennement,
avec qui se fait sa vie. Car " La solitude je la
vois pour moi dans l'insignifiante compagnie des gens de
lettres" (ibid). Poésie simple, donc, mais
non simpliste. Refusant le mot recherché, l'image
tarabiscotée. Comme tous les jeunes poètes
de son temps, il a d'abord subi l'influence des surréalistes,
mais s'en est vite éloigné : " ...
une voix aussi éloignée de l'ouragan romantique
que des chutes de vaisselle surréalistes."
(ibid). Bien sûr, il a gardé une familiarité
avec le vers libre et l'image exaltée :
Quand il revint au hameau
Il savait de tragiques histoires
Où les loups égorgent la lune
Aux ronds points des forêts
Il avait dans sa veste un godet de ciel bleu
Des images marines
De quoi convaincre sans peine les voisins
Le malheur fut qu'il reconnut ses frères
Occupés à rouir leurs chevelures
Il tenta de les rejoindre
Mais le courant, surpris par une ondée nouvelle
Coula sa barque de mica
( Forges du vent, 1938)
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Vers libres, images brillantes, absence de ponctuation (
sauf une virgule !) , on aura reconnu la manière
... Mais rapidement, le jeune poète accorde sa lyre
et en tire des sons plus personnels :
Pieds nus dans la campagne bleue comme un Bon
Père
Qui tient sa mule par le cou et qui dit des prières
Je vais je ne sais rien de ma vie mais je vais
Au bout de tout sans me soucier du temps qu'il fait
( Le Coeur définitif, 1948)
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... distiques d'alexandrins, de rythme libéré,
rimés... L'alexandrin assoupli devient sa voix d'élection
:
Il rêve et dans l'absence on dirait qu'il sourit
Dans un trouble et parfait mouvement de niaiserie
Est-ce toi que j'attends comme on attend l'annonce
de quelque chose de grand pareil à la naissance
?
Tu me viens en paletot de serge qui sent l'herbe
Le lait cuit les harnais et les devants de ferme
( Quatre poèmes... 1948 )
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Le ton se fait grave, du jeune poète ( il n'a que
28 ans) pour annoncer "quelque chose de grand pareil
à la naissance", la mort. Elle surviendra
dans trois ans seulement, mais il y a longtemps qu'il l'attend
:
Fais vite
Ton ombre te précède et tu hésites
Derrière toi on marche sur tes jeux brisés
On referme la porte
Et les heures sont comptées
Mais la vie la plus courte
Est souvent la meilleure
( Années-lumière, 1939)
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Michel Manoll, son ami et biographe, souligne cette étonnante
prescience, et cette hâte que le poète avait
à travailler, à vivre ,à avoir des
journées bien remplies, retardant et écourtant
le temps perdu du sommeil, comme un qui sait que le temps
est compté. Il est d'autant plus révolté
par la mort injuste de jeunes résistants :
L'un d'eux pense à un petit village
Où il allait à l'école
Un autre est assis à sa table
Et ses amis tiennent ses mains
Ils ne sont déjà plus du pays dont ils
rêvent
( Les fusillés de Châteaubriant, 1945
)
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Par bonheur il a rencontré Hélène,
le grand , le seul amour :
Mais je marche et je sais que tes mains me répondent
Ô femme dans le clair prétexte des bourgeons
Et que tu n'attends pas que les fibres se soudent
Pour amoureusement y graver nos prénoms
( Hélène ou le Règne Végétal,
1947)
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Dans les dernières années de sa courte vie,
la pensée du poète rencontre Dieu, et dans
son sentiment d'exister il se sent se confondre avec le
monde qui l'environne, et singulièrement avec le
règne végétal :
Je préférais laisser planer sur moi
comme une eau froide
Le doute d'être un homme. Je m'aimais
Dans la splendeur imaginée d'un végétal
D'essence blonde avec des boucles de soleil
Ma vie ne commençait qu'au-delà de moi-même
Ebruitée doucement par un vol de vanneaux
Je m'entendais dans les grelots d'un matin blême
Et c'était toujours les mêmes murs à
la chaux
( ibid)
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Merveilleux Cadou, célébrant
sa naissance par une pensée gracieuse et fragile
qui n'est pa sans évoquer le finale du "Bateau
ivre" ( - sur une flaque noire et froide ... "Un
enfant accroupi plein de tristesses lâche / Un bateau
frêle comme un papillon de mai.")
Moineaux de l'an 1920
La route en hiver était belle !
Et vivre je le désirais
Comme un enfant qui veut danser
Sur l'étang au miroir trop mince
(Ibid)
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Mais... il faudrait tout citer, tout lire. Et quel meilleur
moyen que d'ouvrir ses livres? A bientôt, René
Guy Cadou.
Tous ces extraits sont tirés de l'ouvrage : René
Guy Cadou,présentation et anthologie, par Michel
Manoll, Seghers, Poètes d'aujourd'hui,1954, réimpressions
58, 59, 63, 2001.
René
Guy Cadou, un poète et son oeuvre, par Isabelle
Herbert
Louisfert
en poésie -Demeure René Guy Cadou - témoignage
de Léah
Itinéraire
poétique par Cécile Guivarch.
Par Léah, Isabelle Herbert,
Orlando Jotpae Rodriguez et Cécile Guivarch
pour Francopolis
octobre 2005
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